Le changement, c'est Maintenon
L’histoire n’est pas toujours juste envers les femmes proches du pouvoir. Elle les confine souvent à des clichés réducteurs ou à des réputations pas toujours justifiées. Ainsi elle a attribué à Françoise d’Aubigné, veuve Scarron, élevée ensuite au rang de marquise de Maintenon, l’image trompeuse d’une sainte nitouche experte en bigoterie.
Tout près des frondaisons qui ceinturent le château acquis par la célèbre marquise, André propose à ses 23 compagnons du jour de dépoussiérer cette version convenue. Son intervention très Grand Siècle sera le point d’orgue de la balade qui s’achève
L’orateur a entrepris de passer à la moulinette de son esprit critique les études trop entendues sur ce personnage. De l’histoire, il adore chatouiller les mythes simplifiés et remettre en doute les vérités rabâchées. Sans s’évertuer, non plus, à faire œuvre de démolition. Tout chercheur s’attache généralement au sujet de son étude. Malgré l’ironie de certains propos, l’auditoire remarque bien vite que le narrateur a succombé au charme de la petite fille du poète Agrippa d’Aubigné, au demeurant reconnue comme fort belle femme.
Après une jeunesse tumultueuse puis cultivée grâce à son défunt époux Paul Scarron, Françoise dirige l’éducation des enfants que le Roi-Soleil a eu avec sa favorite Athénaïs de Montespan. Cette fonction lui permet d’entrer à la cour. Elle a l’habileté de jouer les prudes effarouchées, se lie au confesseur du roi et autres bigots qui fustigent le comportement licencieux du souverain. Elle infléchit Louis XIV à revenir sur le chemin de la morale sans oublier cependant de lui ouvrir les draps de sa couche. A la mort de la reine Marie-Thérèse, elle convainc le roi de répudier la Montespan. Les deux femmes s’étaient auparavant construites dans une relation d’amitié que Françoise transformera ensuite en jalousie. Le duel pour le roi a tourné à son avantage.
A ses côtés, le monarque change. De libertin il devient dévot. Il ne pense plus qu’au salut de son âme. Il épouse secrètement Madame de Maintenon, qui obtient ainsi sa revanche sur une jeunesse pauvre et difficile.
Plus tôt, ce matin du 27 mars, les participants avaient déjà constaté qu’un changement, plutôt favorable, allait concerner l’état du ciel. La météo avait promis que la randonnée prendrait place dans le décor d’une journée lumineuse, intercalée entre averses passées et à venir. Elle a vu juste. Dès le départ du parking Cipiere à Maintenon (28260) le soleil joue déjà sur l’eau du canal tout proche qui double le cours de l’Eure. La lumière s’amuse des oscillations qu’elle produit au fur et à mesure qu’alternent l’ombre du sous-bois et les passages dégagés. Le canal renvoie les éclats blafards du soleil de mars.
Bon présage pour la suite. Sur le plateau forestier qui conduit au village de Villiers-le-Mohrier, la terre sablonneuse ne colle plus aux chaussures. Mais les flaques de la nuit précédente recouvrent quelquefois le large chemin. La forêt qui l’entoure reste prudente. Le beau temps d’aujourd’hui n’est pas encore signe du printemps. Elle continue de se revêtir de sa parure hivernale et attendra des jours meilleurs pour se déboutonner. Le groupe retrouve le cours de l’Eure qui a du mal à tracer son passage dans un dédale d’étangs et de marais.
Près de l’onde le silence est total. La paix n’est perturbée que par le grondement de gros camions qui circulent au loin. Un chemin, à moitié effacé dans l’herbe, suit le cours de la rivière. Des églantiers, des bouleaux et des saules peuplent ses rives. La surface de l’eau se rident d’infimes vaguelettes provoquées par le passage de canards. Un espace asséché par un tapis de feuilles permet de souffler et de ménager la halte réparatrice.
Le retour vers Maintenon s’effectue sous un couvert forestier plus dense. Les bois, timidement, essayent de s’émanciper de l’engourdissement de l’hiver en autorisant quelques petites fleurs blanches à égayer le chemin.
Les grilles du château de Maintenon sont closes. On ne peut qu’admirer sa beauté extérieure. On entrevoit, par une échappée sur les jardins, la silhouette d’un aqueduc inachevé. La vision lointaine de cette muraille engloutie dans le feuillage est trop intrigante. On convient d’un détour pour satisfaire la curiosité.
Vauban cherchait à alimenter les bassins du château de Versailles par un canal captant les eaux de l’Eure. Mais à Maintenon, il faut franchir la vallée. L’ingénieux serviteur prévoit un édifice à trois niveaux mais le projet est revu à la baisse. On se contentera d’un seul rang. Les guerres par la suite vont freiner les investissements alloués au chantier Les travaux seront abandonnés vers 1690. Aperçu comme une balafre au bout du parc du château, l’aqueduc reste une ruine imposante. Le bâtiment grandiose n’est plus qu’un géant mutilé. Ses arcades, mangées par la végétation, ressemblent aux fenêtres d’une cathédrale engloutie. Cette ruine touchante porte la nostalgie d’elle-même. Elle a changé de statut. D’œuvre architecturale elle s’est mutée en émotion esthétique.
Les portes des véhicules vont se refermer. Les participants s’apprêtent à partir. Avant de se quitter, Pascal lance à la cantonade ce didactique avertissement : «N’oubliez pas que le changement ce n’est pas Maintenon, mais c’est pour après-demain» !
Cette annonce d’une certitude encore inconsciente s’avère troublante. Le changement d’heure ouvre en effet des débats sans fin. Fin mars, il se place dans le mauvais sens. On va perdre une heure de sommeil. Mais l’imprécateur se veut rassurant : «Surtout ne croyez pas que vous aurez pris du retard, considérez que c’est votre montre qui aura pris de l’avance» !
Sources consultées
Site internet : une autre histoire Madame de Maintenon
Récit : Duel pour un roi d’Agnès Walch édition Tallandier
Maintenon, parking du pont cipiere, le canal, hameau de Sauny, butte du moulin, Villiers-le-Morhier, route de la couture, le long de la Drouette, le PR des étangs, les rives de l’Eure, le chemin vers Théneuse, le chemin en bas du coteau de Théneuse à Maintenon, le château, l’aqueduc ruiné