Sept jours après

Publié le par club rando

Une semaine plus tôt, Alain avait reconnu le circuit, ébloui par l’or d’un soleil automnal. Il s’imaginait déjà ouvrir la route par ce joli sentier qui, en bas d’Omerville(95420), amorce sa descente dans un fouillis de bois et de taillis. Au-dessus de sa tête, de maigres nuages blancs feraient la course dans le ciel immense. A ses pieds, un tapis de feuilles roussies par les premiers froids offrirait la douceur de la moquette aux pas des marcheurs. Comme chef de bande, il irait même jusqu’à imposer le silence pour que personne ne puisse perturber la sérénité d’un paysage dont il se sentait le garant. Mais le calendrier se moque parfois des souhaits ou des rêves. Sept jours après, tout le décor attendu s’est déchiré. Ce vendredi matin, Alain est cueilli à froid par l’arrivée d’un front de vilaines averses, qui plus est, annoncées pour durer.

Sept jours après

Avec une pluie soutenue, le guide du jour sait d’avance que les quatorze compagnons venus le rejoindre ne retiendront du parcours que sa tonalité humide. Inventer la surprise, c’est mieux que de se perdre. Fort de ce principe, Alain décide alors de remodeler la balade par une respiration raccourcie. Et soumet un nouveau départ, à partir de la localité de Bray et Lu(95710).

Sept jours après

A la limite des deux Vexin, ce village tout en longueur ressemble à un vrai village, avec sa mairie, son église, son école, sa caserne de pompiers volontaires et ses contours aussi dentelés que le petit-beurre qu’évoque la sonorité de son nom. Il a su résister à la déshumanisation contemporaine en gardant vivace son café-restaurant. Quelques résidents préfèrent encore s’accouder entre eux au comptoir plutôt que de céder à l’individualisation d’une modernité «google-isée». Sa gérante réserve son plus joli sourire à ceux qui font l’effort de lui rendre visite. Elle propose sa salle pour y sécher les habits en retour de rando et y trouver le réconfort de la table. Cette suggestion rassurante remporte l’unanimité.

Sept jours après

La pluie ne sera plus qu’une indésirable invitée dont il convient de bouder autant que possible l’ennuyeuse compagnie. L’inconfort n’empêche pas la distinction. Sous leurs capes peu seyantes, les femmes ont pris le temps de discipliner avec élégance leur chevelure, se recoiffant en une fraction de seconde dans le reflet de vitres de voiture. Elles sont prêtes à succomber aux délices de la conversation. Voilà maintenant des raisons bien suffisantes pour entamer la marche.

Sept jours après

L’Epte traverse le village. Petite rivière mais grande renommée puisque ses rives rappellent à jamais la légende normande. En 911, le roi des Francs signe le traité de Saint-Clair-sur-Epte et cède les terres qui vont de «l’Epte à la mer» aux envahisseurs Vikings. Rollon, leur chef, aura un destin exceptionnel. Après avoir mené une vie d’aventurier à la recherche de terres à piller, il obtient ce territoire appelé à devenir un des plus puissants états médiévaux du 11° siècle. L’histoire l’a affublé du surnom de «Rollon le marcheur», tout simplement parce qu’aucune monture n’était capable de supporter son imposante stature. Qu’importe ce détail, le qualificatif de marcheur suffira pour lui dédier la balade.

Sept jours après

Georges est venu aujourd’hui faire connaissance du groupe. Il s’installe tout d’abord dans la conversation avec retenue et pudeur oratoire. Puis chemin faisant, il offre à ses interlocuteurs l’abri de son parapluie et surtout l’humble écoute de toute son attention. Petit à petit, ses pas se fondent dans ceux des autres dans la glaise du trajet.

Sept jours après

Midi est bien sonné lors de la traversée de Chaussy, absolument déserté. L’après-midi hésite à s’installer tant elle a peu de promesse de changement à présenter. L’effort produit dans la côte de sortie du village renferme les marcheurs dans leur silence intérieur. Chacun a le sujet sur le bord des lèvres mais s’oblige à ne pas émettre d’opinion personnelle. Bien sûr que personne n’a oublié les évènements récents de Paris. Mais sept jours après, le mutisme est paradoxalement le lien le plus fort, l’écran contre toutes les tentations.

Sept jours après

La décision de prendre un itinéraire plus court s’avère payante et réserve une jolie surprise. A la lisière d’une futaie, deux formes bondissantes attirent l’attention. La première biche s’évanouit de suite dans le bois attenant. La seconde fixe un instant les intrus puis part le long du champ en sautillant avec élégance. Elle laisse quelques secondes aux spectateurs pour savourer le tableau.

Sept jours après

Le restaurant de Bray et Lu célèbre l’arrivée du beaujolais nouveau. Plus pour la tradition que pour la vertu du breuvage, le groupe se laisse facilement séduire. Surtout pour le plaisir d’être là, de clore cette journée ensemble. La magie de la table a balayé très vite tout sentiment de frustration. Le cuisinier, jeune professionnel, vient s’enquérir de la satisfaction des commensaux. Il sollicite même l’avis des plus expertes cordons bleus sur sa façon de cuisiner les «artichauts à la barigoule». L’évocation de ce plat suscite chez Michelle une nostalgie attendrie. Elle livre sa recette avec componction, comme si elle transmettait un lourd secret de famille. L’aubergiste la reçoit et la note avec une humilité sincère et non affectée. Il lui propose de revenir la tester, mais pas tout de suite…sept jours plus tard !

Sept jours après

Bray et Lu, chemin de la montée de Thiron, Chaussy, le bois du bout des vignes, chemin du plateau de la Croix d’Agneau, descente sur Bray et Lu/

Le parcours

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