La fuite des papillons
Dès la sortie d’Aubergenville, la route qui monte au centre hospitalier de Montgardé hésite à franchir la grille d’entrée. Craintive, elle bifurque et entame un premier lacet pour contourner par la gauche. Plus entreprenants, les marcheurs empruntent le passage qui longe le parc de l’établissement et se transforme vite en sentier à l’orée de la forêt toute proche.
Au lointain, le sourd vrombissement de l’autoroute A13 qui fuit vers Mantes est à peine distinct. Comment l’entendre tellement les quatorze participants ont besoin de rattraper le temps de parole supprimé pendant la période estivale. Après les bises un peu prolongées des retrouvailles, les conversations s’enchaînent très vite. Un propos sur les vacances, un autre sur l’été qui n’en fût pas vraiment un et bientôt le couvert des arbres prend des airs d’agora. Très vite, la musique des phrases et des échanges supplante l’acoustique du lieu.
Le bourg d’Aubergenville, qui devait sentir bon la province jusqu’aux années 1950, a choisi de devenir une entité indéfinie, entre ville et banlieue champêtre. Avec l’élan donné par l’implantation de l’usine Renault dans la plaine voisine d’Elisabethville, son urbanisation s’est étendue vers la Seine et sur le flanc oriental du plateau. La partie sud-ouest, celle où le coteau domine la vallée de la Mauldre, a heureusement maintenu son environnement originel. Montgardé, Vaux-les-Huguenots, Sainte-Colombe, anciens hameaux, dont les noms portent en eux mêmes toute une puissance d’attraction, y sont toujours des espaces protégés, blottis entre écrin de verdure et terres encore cultivées. Ils contribuent à faire briller le décor et, pour cette sortie de début septembre, à susciter l’envie d’y perdre ses pas.
Les bois de Guélan ou du Grand Aulnay montrent beaucoup d’indiscipline. Des arbres morts et des lianes s’enchevêtrent dans un aimable fouillis créé par le temps. Quelques hêtres, supportant assez mal ce début d’anarchie, en reprennent le contrôle et encadrent le sentier devenu plus rectiligne. Leur feuillage, pressentant l’automne, commence à abandonner la couleur vert poireau pour des teintes plus ambrées. Sur quelques sujets, les parties sommitales de l’écorce se recouvrent d’une fine couche de lichen plutôt grisâtre. Portant beau, ces arbres assurent fièrement l’élégance de leurs tempes argentées. Sur le versant d’en face, un échiquier de petites parcelles séparées par des haies fait jonction entre la Mauldre qui coule plus bas et le sommet de la pente recouvert de forêts qui n’arrive pas à cacher un ciel chagrin.
Dans le bas du vallon de Bazemont, certains inspectent le sol au cas où. Malgré la bande herbeuse qui habille les bords du chemin, la terre est trop sèche pour y cacher des champignons. Pénétrer dans l’espace boisé qui s’annonce au bout de la montée sera plus propice. Une allée sablonneuse, encadrée d’un alignement de charmes et de bouleaux, rejoint le cœur du bois des Alluets qui termine ici sa poussée vers l’ouest. L’ambiance diffère des autres forêts franciliennes où le ressenti de la nature paraît plus plat, plus fade. Ici, le sous-bois sait mieux faire chanter toute la palette des feuillus, sans doute à cause d’un relief plus affirmé ou par l’effet d’un joli chemin caillouteux qui s’enroule autour des fougères. Aucun bruit ne vient troubler le lieu si ce n’est le bruissement de quelques discrètes envolées derrière les branches. Un arbre peut cacher la forêt mais aussi… des antennes relais qui avancent insidieusement masquées. Au carrefour de la Haute Borne, des opérateurs les ont camouflées sous les habits d’immenses épicéas artificiels. Souhaitons que ces hypocrites résineux ne mutent pas trop vite en espèce invasive !
A la lisière d’un champ qui domine le hameau de Vaux-les-Huguenots une haie de pruniers sauvages abrite quelques papillons. Ils fuient à la volée, effrayés par les pas agressifs. On les sent doublement contrariés. D’abord par l’arrivée de ces empêcheurs de butiner en rond mais surtout parce que leur rythme de vie dépend de l’ensoleillement, plus que chiche ce jour. Après avoir lancé un féroce regard noir, ils dévalent le champ, poussés par un vent frais qui précède un bien vilain crachin.
Le beau temps est vraiment en crise, le déjeuner s’intercale entre deux bourrasques. Il réserve une belle surprise. Fabien est venu nous surprendre et surtout insuffler toute son impressionnante énergie. Elle a plus d’effet que tous les antalgiques. Il aura tout juste le temps de croquer un petit sandwich qui, aujourd’hui, prend le goût du plaisir qu’il lui tarde de retrouver.
Avant de redescendre sur Aubergenville, en venant de la plaine, se dessine de loin la masse sombre et boisée de l’ancienne seigneurie de Montgardé. Reste à surprendre ce que cache l’imposant mur d’enceinte qui en fait le tour. Le château originel a été remplacé par une agréable demeure qui sent bon le manoir normand et les salons lambrissés. Près des écuries s’est installé un surprenant chapiteau sous lequel se prépare le cirque de demain. On y propose des stages consacrés aux arts circassiens. La troupe qui gère cette activité l’a nommée «le cirque dans les étoiles». Sûrement pour affirmer que le spectacle s’investit plus dans l’imaginaire que dans la tradition.
Accolé au nom des Vaux, le suffixe «les Huguenots» méritait bien quelques recherches historiques. Des Réformés, au seizième siècle, vivaient bien ici en bonne intelligence avec les Papistes. On les surnommait les Huguenots, ou le plus souvent, les Parpaillots, mot qui désigne les papillons. En effet, ils portaient lors de leurs cérémonies, de larges chemises blanches. Souvent à la lueur des flammes et des bougies, en agitant leurs vastes manches, ils ressemblaient à des papillons de nuit. Décidemment les huguenots doivent beaucoup à leurs chemises, puisque dans d’autres régions, ils reçurent le nom de «camisards». Pour éviter de nouvelles persécutions, beaucoup durent se résoudre à l’exil. Ceci leur a permis au moins de …. ne pas retourner leur veste !
Vendredi 8 septembre : Aubergenville78410, Centre Hospitalier, chemin des galicots, chemin de Bellevue à Nezel, chemin des rouliers, chemin de la rouasse, Route de Flins à Bazemont, la Malmaison, bois des Alluets, carrefour forestier des Hautes Bornes, la marée plate, Ste-Colombe,Vaux–les-Huguenots, château de Montgardé, chemin du grand Aulnay, Aubergenville