Une parité parfaite

Publié le par club rando

Dans la basse-cour d’une des dernières maisons du village, deux coqs se chamaillent en se courant après. Un catalpa haut de vingt mètres regarde avec exaspération ce désordre volailler. Marmonner entre ses dents lui fait du bien, la seule arme restant aux gens bien élevés. C‘est avec une agitation bien plus mesurée que les 24 marcheurs empruntent la petite route goudronnée qui sort du village d’Aincourt. Ils comprennent bien vite n’y être qu’en sursis. Elle ne mène à rien d’autre qu’une mauvaise piste passablement défoncée et qui a beaucoup de mal à comprendre la raison d’un tel attroupement.

Une parité parfaite

Très vite le bois de la Vignette absorbe ceux qui sont venus le défier. Des fondrières boueuses ont envahi la piste qui devient peu marquée. De toutes parts, un éparpillement de branches cassées et de vieux troncs dessouchés flotte sur le sol comme un marécage végétal qui absorberait l’inconscient prenant le risque d’en tenter la traversée. Contourner un tel univers désordonné n’est pas particulièrement aisé. Une échancrure propose enfin de voir un peu plus que le bout de son nez. Vers le bas se devine un replat où reprend la vie agricole. Une pâture en forme de lanière s’étire le long de la route qui redescend vers Arthies. Souvent de belles vaches rousses y bouclent leur fin de mois. Seule présence visible ce matin, deux poneys indifférents broutent à leur place une herbe grasse piquetée de pâquerettes.

Une parité parfaite

Un peu plus tôt, en posant le pied à Aincourt, les randonneurs ont eu l’impression de trouver une vie réduite à l’image du passé. En fait ce sont les objectifs environnementaux du Parc Naturel du Vexin qui ont vitrifié l’image rurale de toutes les localités concernées. En échappant à l’extension périurbaine, le village s’est enterré dans l’immobilisme. Un curieux personnage a manifesté l’ambition de briser l’incognito. Gauthier d’Aincourt est revenu chez lui, du moins sa statue. Ce chevalier, fidèle serviteur de Guillaume le Conquérant, veille maintenant sur la petite place de l’église. En 1066, il quitta son fief pour aider son suzerain à s’emparer de l’Angleterre. Son courage sur les champs de bataille lui valut des terres dans le nord de ce nouveau pays. Ses descendants, rebaptisés à la sauce anglaise «Eyncourt», s’illustrèrent brillamment dans l’Empire Britannique. La statue, longiligne, à l’esprit Art déco, rappelle la silhouette des guerriers de la tapisserie de Bayeux.

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Mais le passé du village englobe aussi la période Révolutionnaire puisque le dernier propriétaire de la seigneurie d’Aincourt fut Louis-Michel Le Pelletier de Saint-Fargeau, député de la noblesse aux Etats Généraux. Il vota la mort du roi et fut assassiné quelques heures avant l’exécution du dernier Capet.

Louis-Michel Le Pelletier de Saint-Fargeau

Louis-Michel Le Pelletier de Saint-Fargeau

Son descendant direct, le très aristocratique Jean d’Ormesson, s’amusait de l’indignité  provoquée par l’épisode, bien gênant pour une lignée familiale aussi conservatrice que la sienne. Un fil conducteur paradoxal caractérisait cet écrivain malicieux : Etre fidèle à ses origines et tout faire pour en sortir.

Jean d'Ormesson

Jean d'Ormesson

Mais depuis plus de deux siècles, le souvenir de tous ces nobles de robe et d’épée s’est dissout dans le labyrinthe du temps. A part le groupe, le village est vide ce matin de toute présence humaine. La rigueur des exigences du parc pousserait elle aussi les habitants au retranchement ? La statue de Gauthier aurait aimé s’épancher davantage. Réduite à l’immobilité, elle ne converse qu’avec les pigeons.  

Il y a belle lurette qu’en France les quotas concernent bien d’autres choses que les produits laitiers. Les instances publiques et privées aspirent maintenant à ce que la représentation des femmes dans la société ne se cogne plus au fameux plafond de verre. Par des normes quantifiées, s’instaure progressivement une parité entre les deux sexes. C’est en posant pour la photo rituelle que le groupe s’est aperçu qu’il présentait une égalité de genre parfaite. Douze plus douze, une composition idéale, digne du gouvernement dont va bientôt se doter le pays.

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Mais la vertu ne s’attrape pas par décret. Certains aussi donnent plus de poids à l’appréciation qualitative qu’à l’approche quantitative. Le groupe en fait la preuve. Une majorité de randonneurs a conscience de l’ascendant pris par les femmes. Qu’elles viennent en force ou soient moins présentes, elles seront toujours débordantes d’énergie dévorante et élément moteur des sorties. Les hommes ont un peu de mal à digérer cette différence. En secret, ils les jalousent.  

Une parité parfaite

Dans le secteur dit des Garennes, c’est un grand bonheur de marcher de concert sous les frondaisons. Un enchaînement boisé ponctue la plus grande partie du cheminement. Il faut quelquefois se taire pour mieux écouter tous les bruits, menus ou réduits à l’état d’écho. Vient l’envie de partager l’intimité des grands arbres, d’y coller son oreille pour entendre battre le cœur de la terre.

Une parité parfaite

Le groupe ressent l’impression agréable de jouir de l’espace sans avoir à régler l’addition. Il sait bien qu’il idéalise un peu, qu’il ne traverse ni une forêt primaire ni un bois dormant. Il suit de simples traces humaines. Des postes d’affut s’alignent en enfilade au fond d’un talweg. On devine qu’en période de chasse des hommes en treillis et casquette aiment y tirer des coups de chevrotine.  

Une parité parfaite

Sur la route qui file vers le hameau des Bruyères, le colza a commencé à jaunir sous l’effet d’un printemps précoce. Il donne envie d’en couper une fleur à agrafer à la boutonnière.

L’épisode asphalté est de courte durée, un joli chemin gardé par les mésanges permet de retrouver le couvert forestier. Une laissée de renard indique que l’animal a eu un peu plus tôt la même idée d’itinéraire. Le déjeuner ne va pas tarder. Une affamée refrène son impatience en tirant du sac une sucrerie dont le contour s’efface peu à peu sous le suçotement.

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A la sortie du hameau de Lesseville, un vent impromptu contraint à marcher un peu penché. Aincourt se dessine au fond et incite à le rejoindre au plus tôt. Tout ceci oblige à se concentrer sur son souffle en allongeant le pas, un peu à la manière d’une marche afghane. Cette méthode synchronise rythme et avancée. Ses initiateurs furent les habitants des vallées du Panchir et du Pendjab qui devaient maximiser leur capacité respiratoire pour parcourir de longues distances.

Une parité parfaite

A propos de cette contrée lointaine, on a appris récemment que les Talibans ont ordonné la fermeture des collèges féminins quelques heures après leur réouverture. Des images de jeunes filles éplorées devant les grilles des écoles ont circulé. Leur situation est dramatique, le monde s’en émeut. Pourtant les nouveaux maîtres du pays n’ont aucune gêne à bafouer leurs promesses de parité éducative, pourtant annoncées à la prise du pouvoir.

Ces gens-là, vraiment, ne manquent pas d’air !

Une parité parfaite

Le Parcours

Vendredi 22 avril

Aincourt(95510), le chemin du Plançonnet, le bois de la Bucaille, le bois de la Vignette, le seuil du Bel Air, la butte Querdeau, la forêt des Garennes,  le Fond à Botté,  la D 205, le hameau des Bruyères, le chemin des grandes garennes, le Prieuré, le bois de St-Gilles, Lesseville, Aincourt

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