Le sanatorium d'Aincourt
Origines du Sanatorium d’Aincourt
Le bacille responsable de la tuberculose a été mis en évidence en 1882 par Robert KOCH à la suite des travaux de Pasteur. Les recherches sur la maladie et son éradication ont peiné pendant de nombreuses années face notamment à l’incrédulité de beaucoup. Durant la Grande guerre, une épidémie de tuberculose s’était propagée dans les troupes Françaises amenant le gouvernement à prendre les 1ères mesures en matière de prévention...
La loi “Léon Bourgeois“ prise en 1916 impose la création de dispensaires sur l’ensemble du territoire sur l’exemple de celui créé à Lille par le Professeur Calmette. Il y a 100 ans... on dénombrait en France 85 000 décès par an de la tuberculose.
En 1919, la loi “André Honnorat“ prenant modèle sur les Etats Unis lance un véritable plan de mise en place de structures lourdes pour le traitement de la maladie. Ce programme perdurera jusqu’aux années 50.
La 1ère campagne nationale du timbre antituberculeux est lancée en 1925.
C’est dans le cadre de la Loi Honnorat que le Conseil Général de Seine et Oise décide le 2 juillet 1929 la construction d’un sanatorium à AINCOURT (aujourd’hui dans le 95), au lieu-dit “la Bucaille“ (dérivé de “buc“, nom topographique, forme dialectale du mot “bois“). La conception est confiée en 1931 aux architectes Edmond Crevel et Paul-Jean Devoux. Elle s’appuie sur la réalisation de 3 bâtiments principaux en gradins-terrasses d’une capacité unitaire de 150 lits, et exposés Sud-Sud-Est. Le domaine de 75 ha présente de nombreux avantages : situé sur l’un des points culminants de l’ancienne Seine-et-Oise (202m) il est doté des qualités sanitaires du moment: air pur et isolement
Pour renforcer les attraits naturels du site, une véritable forêt de pins des Vosges fut érigée sur le domaine afin de recréer des conditions climatiques proches de celles de la moyenne montagne. La cure d'air frais et le repos constituaient le principal axe thérapeutique alors en vigueur, à une époque où les antibiotiques n'existaient pas. Afin d’éviter tout risque de propagation épidémique, les 3 pavillons furent implantés à 200m les uns des autres. Du Nord au Sud on trouve :
• le pavillon des femmes (ou pavillon du Docteur Vian dit « pavillon des Peupliers »), • le pavillon des enfants (ou « pavillon des Cèdres »), • le pavillon des hommes (ou pavillon Adrien-Bonnefoy-Sibour) dénommé également « pavillon des Tamaris ») Chaque bâtiment, de 220 mètres de long sur 12 mètres de large, comprend trois étages de chambres disposés en gradins et un toit-terrasse. Chaque niveau possède aussi une terrasse de cure continue compartimentée avec des pare-vents en verre dépoli destinés à isoler chaque chambre. Ces terrasses, ou solariums, sont des espaces de cure cruciaux pour le traitement de la maladie, les patients bacillaires astreints à un repos absolu devant y passer plusieurs heures par jour aux heures d'ensoleillement, à respirer l'air pur. Le sana entre en service le 18 juillet 1933. Doté au départ de 100 lits, sa direction est confiée à un élève du Pr Léon Bernard, le Dr Albert Feret spécialiste des traitements médicaux et chirurgicaux de la tuberculose. En octobre de la même année, la capacité est portée à 500 lits. L’année 1934 enregistre 418 admissions, 209 patients et 45 décès.
A l’approche du conflit, les enfants seront évacués le 9 septembre 1939. Situé en pleine zone de conflit armé, le sanatorium d'Aincourt dut, en juin 1940, évacuer les autres malades qui furent répartis dans différents centres de cure provinciaux protégés, en Bretagne notamment. Il fermera ses portes le 9 juin 1940.
Le sana est alors réquisitionné par les autorités militaires françaises en tant que Centre de Séjour surveillé
Le Camp
Le 5 octobre 1940 il devient le 1er « Camp d'Internement Administratif » de la zone Nord en application des décrets de 1939 pris par le gouvernement de Vichy en accord avec les autorités d’occupation. Sa “gestion“ est confiée à la police nationale, sous la direction du commissaire Andrew, ancien des R.G. Le 2 septembre 1940, de nouveaux décrets sont pris amenant à la dissolution du parti communiste, des syndicats, des organisations démocratiques et des municipalités. Il est procédé à plus de 500 arrestations en région parisienne. Le Préfet de Seine-et-Oise Marc Chevalier a pouvoir d’interner à Aincourt « tous les individus désignés par lui – sans enquête et sans jugement – et considérés suspects ou dangereux pour la défense nationale ».
210 internés sont amenés dès le 9 octobre et placés dans le bâtiment Bonnefoy-Sibour. Fin novembre, ils seront 600, entassés dans un seul des 3 bâtiments... et 667 en juin 41 ! Ils viennent des départements de la Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne et du Finistère. Ils sont communistes, syndicalistes, socialistes, francs-maçons et résistants de tous réseaux
Le 4 décembre 1940, 100 d’entre eux seront emmenés à Châteaubriant parmi lesquels 27 seront fusillés le 22 octobre 1941 (dont J.-P. Timbaut, secrétaire du syndicat de la métallurgie). Pour éviter la formation de groupes de résistance, des transferts sont régulièrement organisés vers d’autres camps ou prisons : Fontevrault, Clairvaux, Châteaubriant, Poissy, Rambouillet, Gaillon, Voves, Rouillé… Beaucoup prendront le chemin de Compiègne d’où ils seront déportés vers les camps de la mort d'Auschwitz, Buchenwald et OranienburgSachsenhausen.
En mai 1942, le camp d’Aincourt est ouvert aux femmes : des résistantes et des juives accompagnées de leurs enfants. Les occupants viendront en 1er lieu chercher ces dernières. Leurs enfants, d’abord pris en charge par les autres internées, seront ensuite emmenés par la Croix Rouge. Le 15 septembre 1942, le camp est évacué. Livrées à la Gestapo par la police de Vichy, les internées restantes furent déportées en majorité au camp de Ravensbrück d’où bien peu revinrent.
Le camp aura vu passer 1 500 internés au total, dont 2 députés communistes. Il ferme définitivement le 15 septembre 1942.
Le camp transformé en école de formation
Il est alors remplacé par un centre d'entraînement des miliciens. Les premiers arrivèrent à Aincourt en novembre 1942. En mars 1943, le secrétaire général de la Police du gouvernement de Vichy, René Bousquet y installe une école de formation des Groupes Mobiles de Réserve « GMR », chargés avec la milice, de la chasse aux résistants. Cette structure fut officiellement dissoute le 13 septembre 1943.
Le 29 août 1944, les Américains s’emparent du camp et le 314ème Régiment y installe momentanément son P.C.
Une stèle commémorative fut érigée sur le site en 1994. Elle stipule qu'Aincourt est considéré comme un camp de concentration. Chaque année, une cérémonie a lieu le premier samedi d'octobre, en mémoire des déportés qui furent internés là entre 1940 et 1942
1946-2001 : renouveau et incertitude
En 1946, le sanatorium rouvrit ses portes. En 1955, un nouveau bloc opératoire fut inauguré. Mais l'arrivée des antibiotiques et la régression de la tuberculose obligèrent les pouvoirs publics à reconsidérer la destination du sanatorium qui bénéficia d'aménagements progressifs destinés à le mettre en conformité avec les normes sanitaires modernes et dans une perspective désormais pluridisciplinaire. En 1972, le sanatorium devint un centre médical et le pavillon des Cèdres subit des travaux de rénovation jusqu'en 1975 pour devenir un centre de rééducation fonctionnelle. En 1970, à l'initiative du docteur Hamon, alors directeur du Centre Médical de la Bucaille, féru de culture extrême-orientale et de philosophie Zen, un jardin japonais fut aménagé entre le pavillon des Cèdres et les annexes techniques. Son aménagement, fidèle aux préceptes du traité du Sakutei-ki, évoque des jardins célèbres du Japon : celui du Sambô-in, pour la cascade, l'île et le petit pont ; le château Nijô pour l'agencement des rochers et les zones sacrées autour du sanctuaire de Nara pour la porte rituelle Torii.
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Les travaux furent exécutés par les jardiniers et les ouvriers d'entretien du centre hospitalier. Les agriculteurs des environs firent don, à l'occasion, des rochers de grès aux formes artistiques. Les infrastructures s'avérant de plus en plus inadaptées à la pratique d'une médecine toujours plus exigeante, le rez-de-chaussée du pavillon des Tamaris, utilisé spécifiquement pour soigner la tuberculose, fut fermé en 1987. Le pavillon des Peupliers ferma totalement ses portes en 1988. En 2001 ce fut le tour des Tamaris;
Jusqu’à aujourd’hui...
Seul, l'ancien Pavillon des enfants (les Cèdres) continue de fonctionner, devenu depuis C. H. du Vexin puis le 1er janvier 2011, le Groupement Hospitalier Intercommunal du Vexin. Les deux autres bâtiments (Peupliers et Tamaris), désormais vides, furent la proie du vandalisme et de pillages multiples en l'espace de quelques années. Les vandales désossèrent littéralement les lieux de tout ce qui n'appartenait pas au gros œuvre, saccagèrent ce qu'ils ne purent emporter. Les murs portent les stigmates des batailles de Paintball organisés nuitamment et de l'intervention de tagueurs parfois talentueux. Aujourd'hui, ces deux bâtiments pourtant inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques offrent le spectacle désolant de grandes carcasses de béton battues par les vents. Malgré les outrages subis, ils conservent encore fière allure, attestant de la qualité de la construction et de la perfection de leur ligne architecturale digne des exemples d'architecture paquebot les plus fameux du style fonctionnaliste de l'entre-deuxguerres.
Le pavillon des Peupliers désormais inaccessible (pav. des Hommes) a servi pour des shooting photos et le tournage de certaines séquences de films : • Le Serpent d’Eric Barbier (2006) avec l’affrontement viril des acteurs Clovis Cornillac et Yvan Attal, • Demain tout commence de Hugo Gélin (sorti en déc. 2016) où l’on voit Omar Sy se jeter du sommet de la tour sous les yeux horrifiés de sa fille (Gloria Colston). Ce bâtiment a également servi aux sapeurs pompiers à expérimenter des procédures de lutte contre les incendies.
Un projet subsiste encore pour les 2 pavillons (Tamaris et Peupliers) dont la vente permettrait leur réhabilitation. En attendant, le pavillon des Peupliers, a été mis à disposition d’un club d’Airsoft (par le biais d’une convention précaire), permettant à ses membres de s’y livrer à des combats simulant des scènes de guérillas au moyen de répliques d’armes de guerre tirant des projectiles en plastique.
Un roman de Valentine Goby sorti en 2016 (aux éditions Actes Sud), un Paquebot dans les Arbres, situe le cœur de son action au Sanatorium d’Aincourt en mettant en scène la vie d'une famille bien réelle dans les années 1960, ravagée par cette terrible maladie
Fabien G;
Documentation : archives CHI Vexin, Association Mémoire d’Aincourt, archives Résistance, Brochure Hôpital Aincourt
Remerciements à M.Claude le Bouil, Direction de la Communication du CHIV