La langue de chez nous
Est-ce parce qu’il est lui-même doté d’une souplesse verbale dont il use largement ou bien est-ce en raison de l’honneur de conduire un pays reconnu dans le monde entier pour l’abondance de ses écrivains que le président actuel de la République s’est senti redevable de l’héritage culturel légué par la langue française ? Il a donné toute son impulsion à la restauration du château de Villers-Cotterêts pour y créer la Cité internationale de la langue française. Il choisit à dessein ce lieu symbolique qui vit François 1er signer l’édit qui proclamait la suprématie de la langue française sur le latin.
Inauguré il y a un an, quatre années de travaux ont transformé ce château en un espace muséal de 1600 mètres carrés d’immersion, d’expositions et de parcours interactifs. S’estimant plus enclins à ignorer la règle qu’à maîtriser l’accord du participe passé, un quarteron de randonneurs s’est rendu sur place en vue de corriger de détestables habitudes. Comptaient-ils y trouver secrètement la méthode pour lutter contre les ravages du franglais dont l’usage intensif changerait bien vite le « Petit Robert » en « Little Bob ». Personne n’a vraiment besoin de s’inspirer du « french flair », sauf les trois-quarts de rugby, bien entendu !
Au-dessus d’une immense cour, une verrière spectaculaire soutenant des centaines de mots accueille les randonneurs. On aborde d’entrée le vrai cœur du sujet : les mots sont le ciment de la langue. Les phrases les récupèrent, les assemblent, en dépoussièrent quelques-uns comme s’ils sortaient de la cave. Tous n’ont pas le même sort. Les uns affichent une santé insolente, d’autres, fatigués et vieillis, tombent dans l’oubli. Par le génie des peuples constitutifs de la francophonie, certains se marient entre eux de façon cocasse et se réinventent. Une langue, « ça ne s’appartient pas » !
Gravis les escaliers Renaissance, commence l’ensemble du parcours muséographique. Cela aurait pu sembler barbant, cela va s’avérer le comble du ludique. Prêts pour le décollage, les randonneurs plongent dans l’histoire du français et sa capacité à avoir conquis le monde. D’emblée une immense bibliothèque présente des portraits d’écrivains. Un tableau ouvre sur les destinations de cette langue qui se parle sur les cinq continents. On y apprend son métissage par l’échange avec d’autres langues. Dans l’histoire de la Nation, le français n’a pas toujours eu le beau rôle. Le prétendu grand frère protecteur a porté atteinte à ses petites sœurs, les langues régionales, qui ne demandaient qu’à vivre. Ce sont elles qui lui ont donné pourtant la saveur de ses divers accents. Les salles du parcours sont parsemées d’objets, de tableaux et d’œuvres d’art détournées. On peut jouer avec les rimes et créer à partir des phrases les plus célèbres de la langue française. On s’amuse des pirouettes verbales de Raymond Devos ou des pitreries vocales de Dany Boon.
La dictée collective est l’un des moments forts. Des comédiens fictifs demandent de s’engager en se plaçant sur une des deux lignes de réponse. Va-t-on tomber du bon côté ou sur celui qui consacre son ignorance ? Malgré ses erreurs, on persiste en amplifiant l’exercice. Rien n’est plus excitant qu’un enjeu dès qu’il devient difficile. C’est peut-être cela la vocation de la Cité : donner l’envie de lire, d’écrire, de parler et en prime de s’instruire tout en s’amusant.
Les derniers pas aboutissent dans le lieu même où tout a commencé : la salle de la signature du traité. Son ordonnance stipulait que les actes administratifs et juridiques ne s’écriraient plus en latin mais en langage maternel « françoise ». Ainsi toute personne impliquée pouvait comprendre au moins de quoi il retourne- une avancée essentielle pour l’époque.
Si la restauration du château s’avère superbe, le fait de muséifier la langue est-il vraiment opportun ? Bien que le français ait perdu de sa superbe dans le monde, la projection future du nombre de ses locuteurs ne serait pas trop alarmiste. Comment se rassurer autrement ? On sait au moins que les prochaines modifications orthographiques feront comme toujours l’objet de débats enflammés. Un pur bonheur pour tous ceux, linguistes, écrivains ou simples passionnés qui se délectent de ces joutes sémantiques.
Redescendus dans la cour d’entrée, une porte invite à découvrir le parc extérieur du château. Dans ses allées, le crépuscule s’est installé doucement. Le parc semble atteint de sclérose. Sur les grandes pelouses, des nuages de neige tourbillonnante ont déposé de nombreuses pastilles blanches. Les arbres se resserrent pour ne pas trembler de froid. Seule la silhouette illuminée du château arrive à réchauffer l’air glacé. Il est temps de revenir au chaud.
L’idée de s’y rendre avait été soufflée tout bonnement par son homonymie. Quoi de plus logique que de filer dans la vallée de l’Automne lorsque du faîte des arbres aux buissons des sous-bois, le roux, le jaune et le vermillon de l’automne embrasent la nature. La rivière Automne, qui devrait plutôt s’orthographier « Autone » du fait de sa dénomination d’origine « Altona », a donné son nom à l’endroit. Du village de Lagny-sur-Automne, le chemin de randonnée file rejoindre le cours d’eau en serpentant entre les saules. Malgré le froid vif, la lumière du matin arrive à souligner les paysages de cette partie du Valois. Les tons chauds automnaux restent prisonniers de la vallée.
Le comté de Valois tire son nom de son ancienne capitale Vez (de vadum, le gué en latin). Autour de sa vieille église, les ruelles serrent des maisons et de grosses fermes en pierre. Mais la gloire locale de Vez, c’est le château féodal, dont le donjon pointe entre les arbres. Au-dessus du plateau céréalier l’étirement des nuages emprunte des formes souvent changeantes. Dans cet espace sans bornes ni clôtures, le sentier a du mal à se distinguer des champs voisins. La rigueur de la nuit précédente a gelé le sol à certains endroits.
Des corbeaux perchés à découvert observent la troupe de haut tout en restant sagement discrets. Le ru de Longpré, un affluent de l’Automne, a écorné la plaine en créant une entaille qui abrite un ancien prieuré cistercien. Ce dernier s’inscrit parfaitement dans la paix du vallon. Il en est la fierté et la carte de visite mais sans trop d’ostentation puisque sa présence ne se discerne que derrière des rideaux d’arbres. Cet édifice qui dépendait autrefois de l’abbaye de Fontevraud renvoie à l’imaginaire de la période médiévale. Bien restauré, le prieuré est devenu une magnifique propriété privée. Le regard pointe vers le sud où l’horizon renvoie maintenant les éclats d’un soleil vespéral. Dommage, la balade s’achève au meilleur moment.
Sur le trajet du retour vers Paris, le conducteur, une main sur le volant, l’autre à fourrager dans le grésillement de la bande FM, vient de trouver Radio Nostalgie, la radio où la chanson française est élue au rang de patrimoine. Coup extraordinaire du destin, elle diffuse la superbe chanson d’Yves Duteil : « La langue de chez nous ». Un plaidoyer amoureux pour « une langue belle à qui sait la défendre ». On a discerné que la Cité internationale, moins conformiste, met en exergue d’autres vertus : la richesse et la mobilité. Laissons le soin au malicieux linguiste Alain Rey de clore le sujet : "Plus proche du Poète que du Prince, la langue française ne se veut ni pure, ni soumise" !
Addendum
Le cœur que l’on met au discours, le ton adopté pour le délivrer, constituent la qualité d’une prestation. Lors de la soirée passée à l’hôtel Bonanite, celles de Jean-Claude et Christian furent convaincantes et entraînantes. Les "C’était intéressant" et les "On en redemande" provenant de l’auditoire récompensèrent justement les exposés délivrés par les deux conférenciers.
Le Séjour
Jeudi 21 novembre 2024
Visite de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts (02600).
Vendredi 22 novembre 2024
Lagny-sur-Automne, la vallée de l’Automne, Vers, le prieuré de Longpré, Lagny.