Y ou XXL ?
On aurait pu les laisser seules poursuivre leurs discussions sur les wagons bondés, le programme du week-end ou le vent qui met le bazar dans la chevelure mais Jacky et Gilbert sont arrivés puis Francis et Christian, précédant de très peu le reste des 13 participants.
Sur le parvis supérieur de la gare de Meudon, tout le monde s’est mis à parler à voix haute sans prêter attention aux voyageurs pressés d’attraper le train pour Paris. Un joyeux désordre s’installa dans la perspective séduisante de passer une agréable journée puisque selon de bons augures le ciel restera pur et le froid contenu. Avec le soleil revient la gaîté.
Juste à côté de la gare, L'homme qui marche, œuvre d'Auguste Rodin, rehausse la place Henri-Brousse. La sculpture désigne la direction de la maison-atelier de l’artiste. Ce sont les riverains qui l’ont choisie avant que ne soit réalisée sa reproduction en résine. Beaucoup d’appréciations qui lui sont portées demeurent réticentes. « C'est un peu gênant que cet homme n'ait ni bras ni tête !». On sait bien que l’art sublime la représentation en allant au-delà des apparences. De toute façon, ne serait-ce que pour le titre donné à la sculpture, il aurait été incorrect de ne pas venir la saluer.
La montée des sentes a commencé d’un pas agile. Bien qu’elles tiennent surtout à rester secrètes, elles font partie du décor urbain de Meudon. Connus seulement des habitants qui les pratiquent, ces passages secrets portent des noms champêtres : « sentes des basses pointes, sentes des sureaux, allée des potagers ». Etroites comme un fil, entourées de murs et de hautes palissades, le passant y aperçoit à peine le toit des belles maisons qu’elles protègent. Emmurées dans le silence, les sentes n’ont plus d’autre rôle que de llaisser entrevoir d’inaccessibles paradis.
Le potager du Dauphin borde l'avenue du château de Meudon. Créée au XVIIe siècle, cette demeure agrémentée de serres, jardins et vergers devient domaine royal quand elle est achetée par Louis XIV pour son fils aîné le Grand Dauphin. Vendue comme bien national lors de la Révolution française, elle passe en diverses mains puis en 1946 est acquise par les Jésuites qui l’affectent en internat pour des jeunes Russes en exil. Les Jésuites entreprennent des transformations : une chapelle byzantine prend la place d’une serre. À la chute de l'URSS, l'internat perd de son attrait et les élèves repartent en Russie. Une plaque indicative rappelle cette chronologie.
On est entré, demi-ravi, demi-inquiet, en se disant que quelqu’un va vite surgir pour préciser qu’il s’agit d’un lieu privé. Crainte inutile puisque en 2002 la mairie a procédé au rachat de l’ensemble en installant dans le bâtiment des ateliers d’art et en réaménageant l’extérieur en parc public. Sur la grande pelouse centrale, un jardinier s’affaire autour d’un massif fleuri. L’homme esquisse un signe de la main en guise d’accueil, l’autre restant appuyée sur son râteau. On salue sa vaillance sans trop oser le déranger.
La terrasse de l'observatoire offre, aujourd'hui encore, l'une des plus belles vues sur Paris. Elle prolongeait la résidence du Grand Dauphin qui fit édifier un second édifice, le Château Neuf, tout près de la forêt. À l’époque, on considérait que l’air n’était pas très sain à Versailles et qu’il convenait d’emmener les enfants royaux sur les hauteurs de Meudon.
Subissant les vicissitudes de l’histoire, les deux châteaux disparurent puis la science vint revivifier le domaine. En 1885, Jules Janssen transforma les ruines du Château Neuf en un observatoire réservé aux études solaires. Au bout de la terrasse, la statue de l’astronome s’inscrit parmi les frondaisons. On imagine qu’aux beaux jours les enfants accaparent le lieu, jouent à cache-cache derrière les arbres ou se roulent dans l’herbe. Pour l’instant, la vie se réduit au passage d’un couple regagnant la ville haute.
La promenade prend de l’essor au moment où on la pensait terminée. Un escalier monumental offre un recours complaisant à la rupture de la pente. A ses pieds se dessine une autre échappée qui court de l’observatoire à la lisière de la forêt. Les ombres de Louis XIV et du Grand Dauphin planent sans doute sur la terrasse de Meudon et ses châteaux effacés. Mais en ce moment on n’a pas trop l’âme historienne. Négligeant le Grand Siècle, on presse l’allure pour retrouver le présent et l’étang de Chalais qui n’est qu’à deux pas.
Le bâtiment vide et silencieux sent un peu la morte-saison et l’on voit bien qu’il n’est visité que temporairement. Au cœur des 10 hectares de la zone de Chalais autrefois incluse dans le domaine princier, une initiative plutôt « gonflée » vient de prendre récemment son envol : la mutation d'un ancien hangar à dirigeables en un pôle artistique. L’histoire est singulière. L’ancien Etablissement central d’aérostation militaire de Chalais-Meudon, appelé plus communément « le hangar Y » fabriqua des dirigeables et des ballons captifs jusqu’à la fin de la 1ere guerre mondiale. Reconverti ensuite en Musée de l’air et de l’espace, il valorisait le rôle de l’aéronautique pendant le conflit. Le bâtiment sera plus tard abandonné durant près de quarante ans.
Un entrepreneur vient de métamorphoser le hangar Y en une cathédrale XXL, créant ainsi un lieu atypique. Après trois ans de travaux, l’ancien hangar vétuste est devenu une immense verrière baignée de lumière. Elle présente au public des expositions qui s’animent exclusivement autour d’un parcours en « immersion virtuelle ».
Cette nouvelle nef gothique ne fonctionne pas en circuit fermé, elle est reliée à un autre parcours artistique : des œuvres d'art moderne qui s'égrènent dans le parc adjacent autour d’un bassin hexagonal dessiné jadis par Le Nôtre. Le dialogue paisible entre ces créations contemporaines, souvent loufoques, et ce superbe miroir d’eau donne à l’endroit une grande part d’insolite.
Autant technologique que bucolique, le site a fait indéniablement son effet. Une architecture qui insère innovation et lumière dans un paysage où s’attache toujours la majesté du passé, un projet culturel qui propose une diversité de voyages ne dépassant pas le prix d’un ticket de RER pour Meudon, voilà des raisons suffisantes pour apprécier cet endroit inconnu si près de chez soi.
Sous une grande allée de marronniers remarquables, un des marcheurs a décidé de s’isoler un instant en s’asseyant sur un banc. Croisant négligemment les jambes, il donne à sa silhouette une élégance affectée. La posture, loin d’être machinale, revendique en fait un message caché : "Si je me suis assis, ce n’est pas par fatigue ou lassitude mais parce que je suis un homme sensible à la volupté de l’air ambiant, à la beauté du lieu et au bien-être qui s’en dégage !" Les gestes viennent souvent compléter les mots, il leur arrive même d’en dire davantage.
Les marronniers remarquables de la grande allée aiment les jambes négligemment croisées.
Le Parcours
Vendredi 6 décembre 2024
Meudon (92190) la gare de Val-Fleury, la sente des basses pointes, la rue de la Paix, l’allée des potagers, le potager du Grand Dauphin, l’avenue de l’Observatoire, allée de l’Observatoire, le cimetière de Trivaux, le site de Chalais-Meudon, la route forestière d’Aubervilliers, la route forestière de la porte de Fleury, le parc Pommier, la gare.