J'aime la galette, savez-vous comment ?
Le froid s’est installé. Pas assez intense pour faire vivre à Sannois un épisode neigeux mais suffisamment prégnant pour que les frileux se sentent envahis de frissons. Pas tout le monde, loin s’en faut, puisqu’en grimpant la butte des Châtaigniers, le groupe de marcheurs se moque un peu que l’hiver ait engourdi la vie. C’est hors du domaine climatique que s’affichent plutôt les inquiétudes puisque l’année 2025 débute dans un contexte mondial incertain. Mais personne n’est venu à cette première sortie annuelle pour se plaindre, les 24 participants privilégient d’abord l’agrément de la rencontre. Ils en attendent l’intérêt des échanges et la fierté de l’effort physique que l’on s’impose malgré les petites misères. Une fois réunis, tous vont s’en remettre au plaisir partagé du chemin.
Il est comme ça, Pascal…d’une banlieue que l’on pensait sans atout, il en fait une montagne. Pour entamer la balade qu’il a construite, pas question d’une entrée en matière trop facile. Il a d’emblée choisi la pente raide, celle d’une des Buttes du Parisis.
Ce toponyme désigne une succession de petites collines qui alignent leurs éminences entre la vallée de la Seine et le plateau tabulaire de la forêt de Montmorency. A l'abandon de l'agriculture et des moulins au XXe siècle, les buttes redevinrent en grande partie boisées. Malgré l'urbanisation voisine et des altérations du relief causées par l’exploitation d’anciennes carrières, elles offrent de nos jours de quoi combler la carence en vert des populations val-d’oisiennes et accessoirement des randonneurs de passage.
En haut de la butte des Châtaigniers, la petite dose de cruauté infligée aux marcheurs est compensée par le spectacle grandiose offert sur Paris. Tous les géants de la capitale : Tour Eiffel, quartier de la Défense, Sacré-Cœur et autres édifices que chacun s’amuse à identifier émergent d’un panorama à 180 degrés. On ne se lasse pas de détailler un tel paysage, le regard s’essaye à reconnaître d’autres monuments et fouille la ville comme s’il la découvrait pour la première fois. L’exercice prend le temps nécessaire mais n’empêche pas de laisser la place à l’envie d’aller voir ailleurs.
Bien que l’on ressente le vif de janvier pénétrer le corps, certains desserrent le col de l’anorak comme si tout excès de fermeture allait poser entrave à la reprise de la conversation. Sur ces hauteurs de Sannois, pas d’autre bruit dans les rues que le son d’une radio entendue au croisement d’une voiture où l’on reconnait les bribes d’une chanson de Sabine Paturel « J’ai tout mangé les chocolats, j’ai tout fumé les Craven A. » Le petit miracle de se voir rajeunir d’une quarantaine d’années en une fraction de seconde !
Le sommet de la butte de Sannois, dite aussi du Montrouillet, renferme le joyau de la couronne, un moulin à la ligne fine et délicate. Situé à 162 m d’altitude, l’édifice est même le plus grand d’Ile-de-France. Au 19eme, pour loger le meunier, une maison fut construite juste à côté. Il s’y buvait du vin gris, du piccolo et du ginglet. On fit tourner ce faux moulin à plein régime en vendant des galettes chaudes accompagnées de cidre, ce qui lui vaudra son surnom légendaire de « Terrasse du Père la Galette ». Les ailes ont-elles ensuite battu trop vite, les pseudo-meuniers se sont-ils trop souvent endormis ? La suite devint beaucoup moins glorieuse car le site du Père la Galette, devenu véritable restaurant, se trouve définitivement fermé. A l’opposé, le moulin d’origine, restauré et aménagé depuis peu par la municipalité, respire maintenant la bonne santé. Bien qu’il ne soit ouvert à la visite qu’en de rares occasions, il sait qu’il restera, quoi qu’il advienne, l’âme immémoriale du lieu.
Pascal a remis la colonne en marche, il y a sur la butte voisine une grande carrière à découvrir. Pour s’y rendre et malgré un parcours de montagnes russes, sentiers sylvestres et chemins bosselés se montrent accommodants. La carrière de gypse « Lambert » fut la plus importante d’Europe avant d’être comblée progressivement. Exploitée par l’entreprise Placoplatre, elle occupe 120 hectares du versant sud de la colline de Cormeilles. Par une coupe transversale, elle a saigné le coteau à vif. Si les ressources du sous-sol se sont amoindries, le site n’a pas épuisé son stock de silence, aussi épais que celui qui s’était abattu sur la partie cachée de l’héritage laissé par l’ancien propriétaire du lieu : Hubert Lambert. Il est vrai que les protagonistes s’employèrent à bien « bétonner » cette étrange succession. Coïncidence : le décès récent du bénéficiaire de ce legs vient de remettre sous les feux de l’actualité le récit de cette rocambolesque affaire. Reprise éphémère, la mort passera le coup de gomme.
L’ambiance du sentier qui redescend vers Sannois prend un petit côté artistique à la rencontre du mur qui longe l’autoroute A15. Habillé de nombreuses œuvres de street-art, il se conçoit comme un musée à ciel ouvert. La vie, toujours généreuse, a tenu sans doute à égayer ce coin en déshérence.
Les beaux jours depuis longtemps oubliés, une boulangerie et un autre commerce concentrent à eux deux la seule animation du cœur de ville. Une vendeuse aligne consciencieusement des tartelettes sur un carton plat mais c’est l’assortiment des nombreuses galettes des rois étalées en devanture qui amène la chalandise. Quoi de plus naturel qu’au pays du « Père la Galette », la ville de Sannois se soit appropriée la légitimité de ce type de gâteau ! La vérité exige de dire que cette recette pâtissière se consomme partout dans l’Hexagone. Y compris à l’Elysée, mais sans fève !
Cette tradition culinaire s’enracine dans le passé puisqu’elle serait issue de l’Antiquité qui fêtait par une douceur la reprise de l’allongement du jour. L’Eglise s’en empara ensuite pour célébrer la visite des Rois mages venus d’Orient adorer l’enfant Jésus et lui porter des trésors.
On s’en veut un peu de ne pas avoir pensé à emmener une ou deux galettes pour tirer les rois en fin de balade, mais il aurait été indélicat de le faire au restaurant où va se conclure la matinée. La galette reste bien en tous cas un délice à partager en famille ou entre amis. De la traditionnelle, fourrée à la frangipane, cette pâtisserie se décline maintenant en d’autres saveurs : à la pomme, au chocolat ou à la fleur d’oranger.
Et vous, au fait, vous la mangez comment ?
Le Parcours
Vendredi 10 janvier 2025
Cimetière de Sannois (95110), la butte des Châtaigniers, chemin du Bois Trouilleux, le Moulin de Sannois, le chemin des Aubines, les abords de la Carrière Lambert, les Montsfrais, chemin du Trou à Glaise, chemin du Trou à Terre rouge, chemin du Cul de Chaudton, rue du Cèdre, Église de Sannois.