Monsieur Vincent
Croisée dans ce qu’il reste du vieux Villepreux, cette demeure ornée d’une façade d’inspiration medievale fait peau neuve. Devant une si belle allure, on devine qu’on lui a un peu forcé la main. Malgré l’effort de rénovation, aucun panneau informatif ne vient rehausser le prestige de l’édifice, indiqué seulement sur une plaque de pré-signalisation comme « maison Saint Vincent ». Piqués par la curiosité, les 12 marcheurs aimeraient bien en savoir davantage sur cette bâtisse qui ne manque pas de cachet : d’où tient-elle son nom, quelle est son histoire ? Sans trop vouloir faire le plastronneur, c’est l’animateur qui s’y colle.
…La vie de ce « Vincent », c’est avant tout l’histoire d’un homme bouleversé par la misère de son temps. Missionnaire, compatissant autant au chevet des galériens qu’auprès de Louis XIII, et surtout « petit frère des pauvres », ce personnage marqua son siècle. Vincent de Paul ou plutôt faudrait-il mieux dire « Vincent de Pouy », nom du hameau proche de Dax qui le vit naître en 1581 ne fut pas toujours un saint. Il semble avoir été un bon garçon, intellectuellement doué mais moyennement pieux. Son père le mit aux études pour le diriger vers la tonsure, moyen d’obtenir des revenus d’Église pour la famille, solution courante à l’époque. En 1600, il est ordonné prêtre cinq avant l’âge requis. Il commence à voyager hors des Landes et séjourne à Rome puis à Marseille. Venu à Paris en 1610, il est nommé curé de Clichy, puis deux ans après, précepteur des enfants de Philippe-Emmanuel de Gondi, général des galères. Il quitte rapidement cette famille pour prendre la cure de Châtillon-sur-Chalaronne dans la région de la Dombes. Cet épisode marque le début de sa « conversion » selon son expression, une inspection profonde qui le fait renoncer aux commodités de sa charge pour se consacrer totalement aux démunis : les mendiants, les orphelins, les vieillards, les malades délaissés, puis ensuite, les galériens et les bébés abandonnés. Pour endiguer ce flot de misères, il fonde avec le secours de femmes de diverses conditions sociales, la première « maison de Charité » qui en 1617 recueille et soigne les indigents.
Eclairée par son exemple, la dévote comtesse de Gondi rappelle très vite Vincent auprès d’elle pour en faire son directeur de conscience. En parallèle, elle le soutient dans la continuité de sa tâche missionnaire qu’il exerce sur ses terres de Villepreux. Le prêtre mesure l’abandon matériel et spirituel de cette campagne pourtant si proche de Paris. Dans la France rurale, la pratique était basse et l'ignorance religieuse aussi grande que la pauvreté. A Villepreux, il s’occupe de tous les habitants, prêche dans l’église paroissiale et œuvre pendant sept années dans ce qu’on nomme de nos jours « la maison Saint Vincent ». Il y crée en 1618 sa seconde « maison de Charité ». Plus tard, après avoir été nommé aumônier des galères, il instaure en 1625 à Paris la congrégation de la Mission appelée ensuite l’ordre des Lazaristes. Galvanisées par son zèle, des filles de villages viennent servir les pauvres au sein de petites communautés. Elles donneront naissance aux « sœurs des filles de la Charité ». Une nouveauté pour l’Église qui n’admettait pas les religieuses hors des couvents. On doit aussi à Vincent l’origine de divers hôpitaux : Bicêtre pour les aliénés, la Pitié pour les mendiants et la Salpêtrière pour les couples âgés. Dès 1638, débute l’œuvre des « Enfants Trouvés ». Vincent se préoccupe aussi des rachats d’esclaves aux Barbaresques et Louis XIII meurt dans ses bras. Epuisé par une vie si intense, il décède au couvent Saint Lazare à Paris dans le Xe arrondissement en septembre 1660…
Quel étonnement d’apprendre ainsi que ce modeste prêtre landais du XVIIe siècle eut des intuitions en résonance avec le monde d’aujourd’hui ! Ou bien serait-ce l’inverse ?
Un peu plus tôt, les randonneurs avaient pris possession de Villepreux, leur choix pour cette troisième sortie hivernale. Située au bout de la plaine de Versailles, la localité présente l’activité ordinaire d’une banlieue dortoir. Rien n’y bouge vraiment excepté quelques mouvements de voitures en direction de la mairie. Jadis commune agricole, Villepreux s’est carrément métastasée à la création de l’agglo de Saint-Quentin-en-Yvelines dont elle est partie intégrante. Dans les années soixante-dix, la maison individuelle faisait rêver, chacun désirait son petit coin de paradis. Maintenant, à mi-chemin entre l’univers des cités et celui des lotissements aisés, l’emprise pavillonnaire marquette tout l’espace.
Mais c’est en direction des champs qu’il convient de porter ses pas. La trace suivie s’échappe très vite du bitume et prend un peu de hauteur. En rupture totale avec la grisaille des jours précédents, le soleil s’est placé à son rendement optimal. Il brille, accompagne la montée du coteau mais ne réchauffe pas.
Une ligne d’arbres du fond dissimule ce qui au fil de l’approche se révèle comme un ensemble résidentiel. Construit à l’écart de la commune et relié par une voie privative, ce lotissement semble manifestement habité par une population socialement différente. Seul l’accès piétonnier laisse la liberté du passage. Curieusement, dans ce secteur où les gens aisés ont fait sécession, personne ne porte vraiment attention au petit groupe d’imposteurs. Si le randonneur de passage est ignoré, c’est parce qu’on ne le voit pas. Il n’est pas vu car il n’inquiète pas. Il se réduit aux yeux des gens à sa position fugitive ; d’ailleurs, il va vite passer.
En revenant vers Villepreux, une butte boisée surmonte le domaine de Grand’Maisons. Pins et bouleaux s’y partagent de beaux restes. Construit au XVIIe siècle, le lieu abrite une ancienne maladrerie et sa chapelle ouvertes sur une cour d’honneur. Ce corps de bâtiments jouxte un château et son parc. On se paye l’impudence d’en franchir la porte car la visite de la chapelle justifie à elle seule l’intrusion. Tout ce grand espace déserté est destiné à héberger une école privée. Il n’est pour l’instant qu’une belle enveloppe dans une coquille vide. Le château de Grand’Maisons fut, lui, la résidence de la famille Francini, célèbres fontainiers florentins en charge de créer les cascades, bassins et jets d’eaux de Versailles. Des travaux importants sont en train de transformer cette « grande maison » aristocratique en un superbe écrin de réception de l’Ouest parisien. Dans l’allée qui y conduit, on imagine bien la cavalcade des lapins qui s’y retrouvent le soir pour danser sous la lune.
Etonnant de constater que la ville de Villepreux n’ait pas marqué davantage la relation qui la lie aussi intimement à la vie de « Monsieur Vincent* ». Ce fut pourtant son lieu d’action le plus durable et il continua par la suite dans la même lignée : les soins aux malades, la solidarité envers les ainés, l’attention à ceux qui n’en recoivent pas.
Quatre cents ans après, la société a changé d’habits mais ce type d’infirmités demeure. Les luttes contre l’exclusion ne sont plus subordonnées à l’obédience religieuse. Des hommes et des femmes se lèvent toujours pour assister les autres. Certaines actions sont soutenues, certains les revendiquent, d’autres les taisent. Ne dit-on pas que la meilleure des charités est celle qui résonne dans le silence de son cœur ?
*titre d’un film de Maurice Cloche en 1947 consacré à la vie de Saint Vincent de Paul
Le Parcours
Vendredi 14 février 2025
Villepreux (78450), le chemin entre deux murs, la grille de l’ancien château des Gondi, le vieux centre, la maison Saint Vincent, route de Rennemoulin, les hauts de Grisy et son lotissement, le domaine de Grand’Maisons, le chemin de la Cavée, la Pépinière, le complexe Alain Mimoun.