Le glamour est dans le pré

Publié le par club rando

En portant son regard au-dessus du mur d’enceinte du domaine de Balincourt, le parc paraît à l’abandon. Des arbustes ébouriffés et un abcès de mottes terreuses rompent l’alignement d’une allée qu’on imagine rejoindre la demeure centrale. Derrière la grille d’entrée, elle se dessine au lointain sans qu’on puisse vraiment apprécier sa taille réelle. Sous son voile de verdure, l’adresse semble conforme à l’image d’un château perdu avec cependant pour différence essentielle la présence d’une voiture qui indique que l’endroit serait habité.

Le glamour est dans le pré

Si la vie s’est absentée, du moins le temps de leur passage, les 10 promeneurs cherchent les repères qui pourraient fixer le décor. Ils comprennent bien vite que le lieu est dévolu à l’agrément de la villégiature et n’a rien d’une place forte. La demeure se déploie sans ostentation avec cependant une espèce de fantaisie d’inspiration palladienne. Mais au-delà du style architectural, c’est avant tout la singularité de ses anciens propriétaires qui en fait la renommée.

Le glamour est dans le pré

Au nord de Vallangoujard, le domaine se situe au cœur de la commune de Ménouville sur le cours supérieur du Sausseron. Balincourt fut acquis en 1908, un an avant sa mort, par le roi des BelgesLéopold II, pour l'offrir à son épouse morganatique, la baronne de Vaughan. Celle-ci le cèda en 1915 au marchand d'armes et financier grec, Sir Basil Zaharoff (1849-1936). Ce personnage partagea son temps entre Balincourt l'été, où il reçoit discrètement hommes politiques et chefs militaires, et Monte-Carlo l'hiver.

Le glamour est dans le pré

Désigné comme l’un des hommes les plus riches et les plus sulfureux de son époque, proche d’Aristide Briand et de Georges Clémenceau, Zaharoff fut perçu comme l’archétype du profiteur de guerres. Les images le représentaient en « Crésus », pliant sous le poids des dividendes des trois cents sociétés dont il était administrateur. Les tintinophiles lecteurs de « l’oreille cassée » se souviennent de sa caricature allant vendre des canons au « général Alcazar » avant de partir proposer le même commerce au rival de ce dernier.

Le glamour est dans le pré

En 1924, Sir Basil épouse à Balincourt la femme de sa vie, courtisée auparavant pendant vingt ans, Maria-Pilar-Muguiro y Beruete, duchesse espagnole et veuve depuis peu. Quoi de plus digne pour l’être aimé qu’un royaume. Zaharoff se prend de la folle idée d’acquérir pour elle le Rocher de Monaco, afin de l’élever au rang d’altesse. Louis II, prince régnant, refusa catégoriquement de se défaire de son héritage familial. Résigné et dépité, Sir Basil se replie sur Balincourt pour y passer les moments les plus paisibles de sa vie. Une veille photo montre l’image de ce bonheur champêtre. Assise dans l’herbe d’une prairie, les cheveux retenus sous un chapeau de paille, Maria-Pilar fixe l’objectif dans une pose glamour. Comme une image inversée, rien ne compte pour cet homme féroce et sans scrupule que la tendresse qu’il voue à sa conjointe.

image d'illustration

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Mais Maria meurt de tuberculose en 1926. Fou de chagrin, Zaharoff  liquide l’ensemble de ses activités et se lance dans la rédaction de ses mémoires. Tous les grands de ce monde tremblent des révélations compromettantes qui pourraient y être consignées. Il décède en 1936 et repose dans la chapelle du domaine dont hérite Maria-de-los-Angeles, fille de Maria-Pilar. Il est admis que son véritable père n’était autre que Sir Basil lui-même. Ses descendants restent toujours les actuels propriétaires. A l’écoute de cet invraisemblable destin, on imagine que le château détient encore des trésors à admirer et des secrets à protéger.

Le glamour est dans le pré

Marcher en ce matin de début avril, entouré de ses amis et sous un soleil vitaminé par un printemps précoce, c’est un plaisir qui se déguste sans se priver. C’est vrai qu’il aurait été bête de se trouver ailleurs quand dès l’abord de Ménouville l’insolite succède à la route qui ne paraissait avoir d’autre but que de s’enfoncer sous les arbres. A la sortie de ce minuscule village de 70 âmes, s’ouvre sur le ciel une antique ferme-manoir composée d’un mur d’enceinte, d’un porche et d’un rare pigeonnier octogonal du XVIe siècle. On est un peu déçu d’apprendre que les mentions de « maître de poste, bourrelier, maréchal-ferrant et charron » inscrites sur la porte charretière, et qui sentent si bon le passé, n’ont rien d’authentique. Apposées à l’occasion du tournage d’un film, elles s’incarnent pourtant parfaitement dans le paysage pour prouver que parfois la fiction surpasse la réalité.

Le glamour est dans le pré

L’air se réchauffe mais les branches nues signalent qu’on n’est encore qu’aux prémices du printemps. Le chemin suivi après Balincourt vient rejoindre le plateau céréalier. Sur cette vaste étendue, pas d’autre issue que de se laisser gagner par l’atmosphère et profiter de la vision. Le marin breton a sûrement besoin de l’azur de la mer, le montagnard de la blancheur de la neige, pour le randonneur francilien, c’est le vert qui colore sa palette visuelle. Il se nuance en  plusieurs touches : le vert des prés, le vert des cultures qui lèvent et celui des forêts où la brume le fait parfois bleu.

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Curieuse cette campagne ! On pensait se perdre dans les champs quand survient une échancrure où entre des arbres et des haies s’aperçoit la forme d’un hameau. Celui de Messelan a pour anecdote  d’avoir hébergé dans les années 1960 la comédienne Marie-José Nat et son mari Michel Drach qui y avaient acquis une ferme. Modernisée par l’ajout d’une piscine extérieure, il n’est plus question d’exploitation agricole. Ne subsiste que peu de trace de ce passage mais le hameau, élégant et discret, n’a pas besoin de l’artiste pour revendiquer tout son attrait.

Le glamour est dans le pré

Sur la rive du ru de Saint-Lubin, des équidés dessinent leurs silhouettes graciles dans les herbes en pleine croissance. Ils s’ébrouent en volupté dans une douceur longtemps attendue. L’hiver de cette année fut long, coupé de fausses rémissions qui ne trompaient personne. Comme les chevaux, chacun veut croire à l’espérance. On abandonne le cours nonchalant de la rivière pour remonter sur les coteaux qui moutonnent entre les communes jumelles de Frouville et Labbeville. Le soleil commence à chauffer les corps, la fraîcheur du matin n’était qu’une imposture. Un marcheur esseulé arrive en sens inverse. Avec des mouvements de bras énergiques, il pousse sur ses bâtons et semble voler sur le chemin. On n’est pas dans le même registre.

Le glamour est dans le pré

Pour rejoindre Vallangoujard, une ancienne voie ferroviaire s’est reconvertie en piste piétonne. Comme un canal, elle file entre bois et pâtures. Dans les trouées claires, la nature a commencé son éveil. Les plantes ouvrent le cycle éternel du renouveau. Star des sous-bois l’anémone sylvestre déploie ses pétales tandis que jonquilles et fleurs de pissenlit peignent le sol de couleurs lumineuses. Dans les haies, les taches blanches des prunelliers ajoutent du charme à l’atmosphère. Les animaux ne sont pas en reste. Des batraciens entament leur migration vers les points d’eau pour rencontrer de ravissantes compagnes. On s’en met plein les yeux, on admire tout ce qui se présente : du muscari bien visible au bouquet de primevères qui piquette la prairie. C’est agréable de se trouver là et de succomber à la séduction. Le glamour est dans le pré !

Le glamour est dans le pré

Le Parcours 

Jeudi 3 avril 2025.

La voie verte de Vallangoujard(95810), Ménouville, le domaine de Balancourt, Héréville, Messelan, la chapelle de Notre-Dame, Frouville, le chemin du Margat, Biard, l’étang du Sausseron, Labbeville, la voie piétonne de Ramponne, Vallangoujard.

avec la présence (glamoureuse) de Nadine, Gérard, Alain, Christan, Francis, Gilbert, Francois, Betty, Joelle, Annick, Régine.

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