à gorge déployée
En dessous du 45e parallèle, le relief plutôt sage du Massif central se met soudainement à s’énerver. Au pied de régions plus angoissées, une rivière audacieuse, l’Ardèche, lacère d’une gorge saisissante le paysage. Ce nom Ardèche trouve ses racines dans les langues anciennes. Il proviendrait du mot celte « Artica », qui signifie ours. Dans un défilé grandiose, cette rivière plantigrade a creusé sa route dans le calcaire, créant l’un des panoramas les plus spectaculaires de France. L’attrait majeur vient du contraste captivant entre les parois verticales et l’horizontalité apparente du plateau qui les borde. Même en géographie, après le haut, se dévoile le bas. La beauté du paysage ardéchois n’a d’égale que la splendeur de son pendant souterrain truffé de grottes et d’avens.
Cette contrée auparavant vouée aux amandes et aux moutons s’est entièrement tournée vers le tourisme. Pas un village qui n’y échappe. Tout y contribue. Les grands pins qui encerclent les innombrables terrains de camping participent à leur façon à l’enrésinement de cette monoculture. A l’entrée des gorges, la base nautique de Vallon-Pont-d’Arc est devenue le coin tendance de cette terre accueillante. En pleine saison, la noria de camionnettes remontant un empilement de canoës, des tribus de motards en santiags et bandanas fleuris, les breaks familiaux remplis de gamins pressés d’aller à la baignade et tous ceux qui veulent prendre leur part du bleu de l’eau et du blanc du calcaire se retrouvent en cohue sur la seule route qui surplombe la fissure.
Comment résister à l’attrait d’un endroit si foisonnant sachant que le Village de Vacances de Labeaume avait consenti d’octroyer quelques places, toujours très disputées même en cette période moins trépidante que celle du boom estival. Plus de trente marcheurs s’étaient immédiatement portés volontaires pour y tenir leur rang.
Pas en canoë, mais à pied, puisqu’il est largement possible de découvrir les gorges par l’intimité piétonne. Prendre de la hauteur, c’est ce que l’on préfère d’autant plus que le sentier qui suit le fil de l’eau comporte de nombreux passages délicats. La route d’accès, longue de 29 km et bordée de 11 belvédères vertigineux, serpente au-dessus des méandres de l’Ardèche. Elle sera rejointe au départ du village de Saint-Remèze, situé sur le plateau sommital.
A l’approche du promontoire du cirque de Gaud, le regard embrasse d’un coup l’unité des gorges. Elles se déploient en livrant des vues grandioses, différentes selon le contour du chemin. Des ravines griffent les versants où s’ordonne la succession de couches sédimentaires qui ont structuré cette beauté. Quelques mètres plus bas, une clarté allume le regard. La rivière y reflète la lumière.
Après une descente musclée s’entend enfin le clapotis de l’eau au fond du canyon. On se délie les jambes au débouché de la rivière en suivant mollement le fil de la grève. Un groupe de canoës passe. On aurait envie de faire davantage ami-ami avec cette eau si vive, d’avouer sa faiblesse de ne pas s’y livrer pour un bain rédempteur. La suée de la remontée en pleine chaleur lavera les regrets. Semblables à des chevrettes sauvages, seules quelques randonneuses y affichèrent leur aisance.
Des ifs penchés sur le mur du cimetière, une boutique de glaces aimantant les enfants, des platanes centenaires qui encadrent la place centrale, le village de Labeaume est à lui seul une carte postale de l’Ardèche du sud. Dans la douceur de l’après-midi, c’est un enchantement de se trouver là. Avant que le groupe n’investisse la terrasse, les chaises du café semblaient apprécier le repos. Un homme s’évertue à ramasser des papiers qui jonchent le sol d’une petite rue adjacente. Professer un tel sens civique dans ce type d’environnement local paraît une attitude surprenante. « Ce ne peut être qu’un anglais ou un danois » avancent de perfides spectateurs.
Comme dans le jardin d’Alice au pays des merveilles, la légende prétend que des trésors se cachent dans ce village et dans bien d’autres alentour. Leur visite se mérite mais avant de les aborder il faut marcher dans le « bartas » qui les entoure. Par des sentiers rugueux rabotant les semelles, on y trimarde dans la caillasse du karst et dans les parfums d’une garrigue méditerranéenne. Souvent, pour atteindre une ligne plus haute, on doit traverser des ravines en évitant les broussailles. Bien que différents, ces sentiers portent un même blason : calcaire, genêts et murets en pierre sèche. On s’y ressent un peu moins vif, taraudé en fin de balade autant par le poids de la fatigue que par l’envie d’une bière ; signes évidents d’une bonne santé.
La découverte finale de ces localités apporte alors son lot de consolation. Ruoms, derrière son unique rempart a des airs de petit Avignon. Sa grande rue commerçante exalte déjà les saveurs de la cuisine provençale. Derrière la masse de son château imposant, Barjac offre ses passages voûtés et ses calades étroites qui mettent le visiteur à l’abri du soleil.
Balazuc, quant à lui, semble avoir été posé sur la falaise. Il invite à descendre vers son pont à arches rejoindre la tour de la Reine Jeanne et le hameau abandonné du Vieil Audon qui vient de renaître grâce au travail de passionnés de vieilles pierres. Quand on s’éloigne en voiture de tous ces villages, le rétroviseur cadre l’image d’une harmonie parfaite entre bâti et campagne. Celle qu’on attendait en secret.
Le sol calcaire des gorges de l’Ardèche a favorisé la formation de grottes et de gouffres. Si certains ont été aménagés par l’Homme, d’autres sont restés vierges ou explorés très récemment. L’aven d’Orgnac entre dans cette catégorie et s’étend dans un volume gigantesque sur 3 salles, entre 50 et 120 mètres de profondeur. La profusion de concrétions en draperies, piles d’assiettes et autres pommes de pin dresse un tableau époustouflant. Un poétique spectacle de son et lumière clôt cette plongée dans les ténèbres. Le groupe retient que ses ancêtres n’ont jamais colonisé cette cavité. Ils se contentaient de jeter par son orifice tout ce qui les encombrait. Il n’y eut dans cette cathédrale souterraine aucune conversation entre les hommes et l’âme du monde. Beaucoup plus prosaïquement, 12.000 bouteilles de vin local sont depuis peu entreposées dans une galerie réservée à cet effet, une cave idéale à température constante. Sous ces voûtes stalagmitiques, les amateurs espèrent sans doute l’élaboration d’un vin de goutte d’une grande finesse. D’autres redoutent qu’il n'amplifie le versant sombre de l’ivresse des profondeurs. Eternel dilemme entre le plaisir et la discipline !
A l’heure de l’apéritif, ce sont souvent des phrases féminines que soulèvent les bribes du vent. Il y a une quarantaine d’années, ces cyclotouristes retraitées étaient encore bien rares à suivre maris ou compagnons dans leurs escapades sportives. Il semble que depuis peu une mutation ait touché ce peuple vélocipédique. Le vin rosé et la joie communicative des soirées du village-vacances à jouer, danser et rire à gorge déployée ont balayé toutes leurs réserves. Elles se regroupent joyeusement pour savourer un concentré de tout ce qui nous a conduit à devenir leurs voisins éphémères. Mais on ne va pas quand même se mettre d’un coup à s’entraîner pour le Tour de France !
Quoique…
Le séjour
le 17 mai 2025 / Arrivée et installation à Labeaume et Saint-Alban-Auriolles (2 sites proches)
le 18 mai 2025/ Circuit de Labeaume par les dolmens et la tour de Chapias
le 19 mai 2025/ Les gorges de l’Ardèche et le cirque de Gaud par Saint-Remèze
le 20 mai 2025/ En matinée : l’approche du cirque de Gens à Ruoms, l’après-midi : Balazuc, le Vieil-Audon, la tour de la Reine Jeanne
le 21 mai 2025/ Barjac, circuit autour de la Fondation Eschaton-Kiefer
le 22 mai 2025/ En matinée : circuit du musée A. Daudet à St-Alban-Auriolles, l’après-midi découverte de l’aven d’Orgnac
le 23 mai 2025/ Dislocation finale