C'est un jardin extraordinaire

Publié le par club rando

« C'est un jardin extraordinaire
Il y a des canards qui parlent anglais
Je leur donne du pain ils remuent leur derrière
En m'disant " Thank you very much Monsieur Trenet
"

Bien que les poètes aient disparu, Charles Trenet savait que leurs œuvres et leurs chansons courent dans les rues. Il n’avait pas tort car ses refrains habitent encore un coin de nos mémoires. Tout en lui était bleu, les yeux, la chemise, le costume sauf la cravate blanche et l’œillet rouge à la boutonnière. Par la poésie des rimes et le rythme de la mélopée, ce « fou chantant » emportait son public dans des univers influencés par le surréalisme. Notamment celui de son « jardin extraordinaire » où les statues attendaient la tombée du jour pour aller danser sur le gazon.

C'est un jardin extraordinaire

Mais « au jardin au-delà de l’eau » de Bellefontaine, pas de canards qui disent « hello », pas de statues se trémoussant la nuit ni d’oiseaux qui s’empiffrent de gruyère. Charles Trenet aurait pu y trouver l’inspiration. Après l’acquisition d’une maison, son propriétaire a mis en valeur un terrain annexe en friche folle de plus d’un hectare qu’il transforma en jardin d’agrément. Il a tenu à ouvrir au public ce qu’il considère comme son petit éden. De nombreuses thématiques florales et la présence d’un étang de 1500 m2 le subliment. C’est à la fin d’une course agréable sur les coteaux de la vallée de l’Ysieux que sa visite privée conclut la balade du jour.

C'est un jardin extraordinaire

Dès qu’on l’aborde, il est visible que ce jardin n’est pas vraiment conçu à la manière de celui de Trenet mais il interpelle pour de bonnes  raisons. Il est pensé comme un lieu reposant où de larges parties engazonnées se mêlent à un fouillis floristique emménagé en arabesque. Son parcours passe de plantes isolées au nom imprononçable à des massifs étoffés qui luttent pour garder l’insularité. La diversité végétale s’exprime sur  toutes les expositions possibles (plein soleil, mi-ombre ou ombre) et sur des sols humides qui évitent l’arrosage supplétif. Le fleurissement étalé de la végétation permet de profiter de chaque saison. La présence d’eau attire la faune avec une  population d’insectes, d’oiseaux, de batraciens et de petits mammifères. Récents locataires du parc, un couple d’oies bernache et sa couvée consentent du bout du bec d’en partager l’usufruit.

C'est un jardin extraordinaire

La température vient de se mettre en surchauffe, les trente degrés sont dépassés. L’ombre accordée par les grands arbres du bois voisin s’avère bienfaisante. À l’instar des toxicomanes obnubilés par leur quête de drogue, les « parcomanes » n’ont qu’une obsession : embellir leur « paradis ». C’est le but avoué de cet hôte si accueillant. Comme tous les gentilshommes jardiniers, asservis à leur passion, on comprend vite en l’écoutant qu’il dépense sans compter pour la gloire de son œuvre. Un peu : quelques billets, passionnément : sa vitalité, à la folie : tout son temps libre.

C'est un jardin extraordinaire

Après l’avoir largement arpenté, ce jardin se révèle plus sensible qu’intelligible. Derrière cet excès recherché de diversité, derrière ce souci policé d’ajustement, ce sont aussi les modestes ou les rebelles qu’il faut entendre d’une autre oreille. L’air de rien, ce sont ces tapis de lierres qui ont pris doucement le pas sur l’herbe, ce sont ces bambous mal peignés venus on ne sait d’où, ce sont tous ces sans-grades végétaux d’arrière-plan qui ont eux-aussi de belles choses à dire et à écouter.

C'est un jardin extraordinaire

Cachée entre deux coteaux arborés, c'est par surprise que se découvre la vallée de l'Ysieux. A l'extrémité nord-est du Val-d’Oise, entre la région capitale et les terres cultivées de la Picardie, elle rompt la monotonie de la plaine de France. A Bellefontaine, où abondent les sources, alternent au long de l’Ysieux des activités maraîchères (asperges) et de loisirs (golf et le jardin remarquable). Pour donner le goût du réel, rien de mieux que d’entamer la journée en s’échappant par le flanc nord du vallon.

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Au bout d’une avancée de 4 km, les 16 marcheurs atteignent le lieu-dit d’Hérivaux. Enchâssé comme une boutonnière dans un creux du plateau, un ermite y fonda une abbaye au XIIe.

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Vendu comme bien national, le domaine d’Hérivaux échut à Benjamin Constant qui fit démolir la plupart des bâtiments. N’épargnant qu’une tour octogonale pour construire une vaste demeure, le plus suisse des penseurs français y rencontre en 1794 l’amour de sa vie. C’est un coup de foudre. « Au bout d’une heure, elle prit sur moi l’empire le plus illimité qu’une femme n’ait peut-être jamais exercé », écrit-il. Cette femme, c’est Germaine de Staël, fille de Necker. Embrassant des opinions semblables, ces deux-là étaient faits pour se plaire même si Madame de Staël se fera un peu prier avant d’ouvrir la porte de sa chambre. Ils vont partager idées et combats politiques puis seront plus tard affectés de la même disgrâce impériale.

C'est un jardin extraordinaire

Mais le temps file, il ne faudrait pas rater le rendez-vous vespéral en s’attardant de trop.  Pour avancer, il n’y a pas trente-six méthodes mais une seule : aligner des pas rectilignes et exclure ceux de côté. Pour la marche, cet acte militant n’est pas toujours grisant mais il reste efficace. « De l’importance d’être constant », devrait être la devise du voyageur à pied.

C'est un jardin extraordinaire

Le sentier qui redescend vers la vallée se faufile comme un orvet à travers les champs de blé. La onzième heure largement entamée, la lumière commence à perdre sa pureté matinale. Au carrefour de la croix de Lassy, une dame bien engagée sur la voie de la vieillesse affirme la présence au village d’un coin pour déjeuner. Lassy ressemble à l’une de ces nombreuses bourgades endormies que le temps aurait semées comme des graines perdues. Les volets clos, on comprend vite qu’on n’y trouvera pas grand monde enclin à participer au plaisir de la rencontre. Le « jardin au-delà de l’eau » n’est qu’à une heure de marche, on est en avance sur le programme. C’est sous le toit du lavoir, au bord de l’Ysieux, que s’entendront les souhaits de bon appétit.

C'est un jardin extraordinaire

Après la collation, le premier réflexe conduit à saluer la vieille église, un sanctuaire sans âge bien défini et agrémenté d’un modeste portail en plein cintre. Sur la prairie du parvis, l’ombre du clocher dessine une place idéale. On s’y verrait bien, allongé sur le dos, regarder les nuages défiler dans le ciel puis, peut-être, s’assoupir doucement. Le bruit du départ réveille cette torpeur et incite à reprendre la route. II ne reste qu’à recaser dans sa tête ce joli moment volé. Un détour pour reprendre de l’indépendance.

« Il suffit pour cela d’un peu d’imagination »

C'est un jardin extraordinaire

Le parcours

Vendredi 13 juin 2025

Bellefontaine(95290), le GR 665, le chemin de la Garenne, le domaine d’Hérivaux, le chemin de la Remise à Maréchal, la croix de Lassy, Lassy, le Moulin du Plessis, le chemin du bord du golf, Bellefontaine, visite guidée du « jardin au-delà de l’eau ».

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