Les duellistes

Publié le par club rando

L’homme s’est rendu compte un jour qu’il pouvait couper en deux son voisin au bon motif de lui faire entendre raison. Il décréta que les armes devaient trancher les querelles et que les contestations puissent se régler au fil de l’épée. Aux combats de l’antiquité succéda le jugement de Dieu dans laquelle la volonté du Très Haut décide du sort de la rixe. Quand s’éteint la chevalerie, l’envie d’en découdre subsiste. Bien plus tard, la loi interdira l’usage du duel mais offensés et offenseurs continueront à se battre sous prétexte de bravoure ou vanité

Les duellistes

En 1958, tous près de Vernon, le petit village de Blaru(78270) fut le théâtre d’un mini évènement déjà fort médiatisé. Un duel à l’ancienne opposa un directeur de ballet, le Marquis de Cuevas, et le danseur chorégraphe Serge Lifar. Il s’agissait de régler dans le sang, ou plus exactement au premier sang versé, un différend ayant pour origine la création d’un opéra-ballet. Les protagonistes arrivèrent avec leurs témoins pour engager le fer au lieu-dit le Moulin de Blaru. Après trois assauts, Serge Lifar fut égratigné au bras et le sang coula. Le directeur de combat arrêta aussitôt le duel. Les deux bretteurs réconciliés se jetèrent dans les bras réciproques. L’honneur était sauf, l’offense lavée.

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Malgré ce passé historique local, nulle intention belliqueuse n'anime en ce matin du 19 juin les dix-huit randonneurs qui se rassemblent devant l’étrange tour-clocher de la place Saint-Hilaire. Ils ne se sont pas rendus à Blaru pour en découdre mais, bien au contraire, pour marcher en harmonie. Les premiers rayons du soleil annoncent l’excellence et font déjà bouillonner le sang dans les veines. Juste avant de s’élancer, le temps d’une rapide incursion, on convient de saluer le tout nouvel établissement qui vient de succéder à l’ancien café communal. Le gérant sympathique et élégant, tel l’ami du petit-déjeuner, promet de tenir au frais bières ou autres boissons pour l’heure du retour.

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La petite montée vers le hameau du Chênet s’effectue sous le jacassement de pies qui s’échappent des champs d’avoine. Un vent faible se lève, suffisant pour faire onduler doucement les tiges dans un gracieux mouvement aux teintes anisées. Une myriade de moucherons danse dans les rayons de lumière ou s’agglutine langoureusement sur des vêtements fluorescents, croyant butiner du pollen. Le soleil dans l’axe de la vallée de la Seine brille au-dessus de la cime des frondaisons lointaines. Sur le chemin, chacun se sent chargé d’une énergie bienfaisante.

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Betty mène la marche. Elle est vive et gaie, heureuse de retrouver le groupe qu’elle a dû délaisser depuis le début de l’année. Elle apprécie la balade comme un cadeau d’anniversaire. Elle avait une affaire à régler dont elle est sortie victorieuse. Sa gaîté est la preuve que l’indésirable a baissé les armes. Elle a réussi à écarter les barreaux qui la contenaient. Elle vient de gagner son duel.

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Logé au fond d’une petite dépression, Blaru cultive le charme d’un village qui s’abrite et se protège de son environnent. Il ne s’aperçoit ni du plateau ni de la vallée. Le circuit du jour, qui pourtant ne s’en éloigne guère, n’a pas permis d’en comprendre clairement l’agencement. En fait l’habitat s’éclate en trois zones distinctes bien que très rapprochées. Sa complexité est aussi difficile à concevoir que le mystère de la sainte Trinité. D’autant plus que la frontière entre Yvelines et Eure ajoute de la confusion administrative au milieu même du bâti. De vieilles maisons, le plus souvent protégées par de magnifiques jardins, participent à la dissimulation. Elles ne laissent rien deviner du dedans, que l’on suppose secret tout autant que superbe.

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Lorsqu’on aborde le plateau, le paysage s’alanguit dans une douce rectitude de champs à perte de vue qui donne l’impression du vertige de l’horizontalité. La forêt de Bizy, toute proche, attire comme un aimant. A deux pas de la plaine, elle succède agréablement à l’espace des blés et des colzas. Le chemin qui s’enfonce dans le sous-bois rafraîchit très vite les promeneurs. Guy apprécie l’alternance, surtout lorsque le passage se rétrécit et que le chemin s’interroge, hésite puis dégringole dans une sente rapide. Il s’y laisse glisser et s’en amuse comme un gamin pris en fraude.

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Un ruisseau prend sa source dans le centre du territoire et rejoint la Seine en contrebas au hameau de Grand-Val. Il a creusé un ravin très encaissé, le Val d’Aconville. La traversée de cette vallée, aussi jolie que méconnue, couronne la balade. Cette enclave lumineuse et verdoyante où alternent prairies, cultures, flancs ombragés et moulins à colombage est un ravissement. En ce début d’après-midi, une odeur d’herbage séché et d’humus odorant embaume le sentier qui quitte le lieu à regret.

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Tout en cheminant, des participants perpétuent le rite des débats sans fin qui au moins ont le mérite d’harmoniser le débit des mots au rythme des pas. Hubert est intarissable. Il s’anime sans nuance. Il adore la controverse, la joute oratoire et se réjouit de retrouver aujourd’hui André, l’un de ses contradicteurs. Tous deux ferraillent dans les propos. Moins ils sentent légitime la justesse de leur jugement, plus ils sont tentés de prendre l’avantage par l’outrance verbale. Leur duel n’est en fait qu’un affrontement complice. Hubert aura le dernier mot. «On devient jeune à soixante-dix ans, malheureusement, c’est un peu tard ! »

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Annexe

Vidéo du duel Marquis de Cuevas et Serge Lifar

Source consultée : article paru sur internet par «les semelles de vent» janvier 2014

Place St Hilaire de Blaru, Le Chênet, la Mare Boinville, chemins de la fosse aux loups et du champ Margot, le Maulu, le Colombier, la forêt de Bizy, le Gr 26, hameau de Normandie, le grand val d’Aconville, le Chêne Godon, les Mifaucons, retour par la Mare Lesage.

Le Parcours

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