Une utopie sanglante

Publié par club rando

Ce texte fait suite à la sortie organisée le 4 novembre 2016 dans les 19° et 20° arrondissements de Paris, avec pour fil rouge : la Commune de Paris

Lors de la campagne présidentielle de 2012, le 18 mars, Jean-Luc Mélanchon réunissait ses fidèles place de la Bastille: « Nous sommes à la bonne date, annonçait-il, celle du  commencement de la grande et glorieuse Commune de Paris. Nous répondons à notre tour à l’appel de Jules Vallès : Place au Peuple, Place à la Commune ».

Pérennité à gauche d’un mythe historique : Celui qui affirme qu’en 1871, les Communards se seraient dressés pour défendre la République contre les Prussiens et la  tyrannie de la  réaction.

Cette version est à présent contestée par quelques historiens qui, tout en admettant la brutalité de la répression, décrivent cette sombre période de l’histoire de France et de Paris plutôt comme un soulèvement insurrectionnel contre un parlement républicain librement élu. Institutionnellement, ce point de vue n’apparaît pas contestable.

Cette controverse peut rapidement devenir polémique car elle concerne un épisode qui draine un cortège de représentations et de  mythes, toujours vivaces dans certaines phraséologies politiques actuelles. C’est la raison pour laquelle cet écrit va se limiter à la relation de faits.

Si la Commune proprement dite ne débute que le 18 mars 1871 et se termine par la semaine sanglante le 28 mai 1871, soit 72 jours, elle se comprend dans les réminiscences de la Révolution Montagnarde de 1793 et des barricades de 1848, et enfin dans les conséquences de la guerre franco-prussienne de 1870

Une utopie sanglante

Chronologie des évènements

- 19 juillet 1870, déclaration de guerre à la Prusse.

- 4 septembre 1870, après la capitulation de Napoléon III à Sedan, la République est proclamée à Paris. Le Gouvernement de Défense Nationale poursuit la guerre mais les revers s’accumulent, Paris est assiégé et réduit à la famine.

- 18 janvier 1871, l’empire d’Allemagne est proclamé au château de Versailles (humiliation suprême).

- 26 janvier 1871, signature d’un «cessez-le-feu».

- 8 février 1871, le suffrage universel envoie à l’Assemblée Nationale réunie à Bordeaux une majorité de députés royalistes favorables à la paix. Dans la capitale, au contraire, une forte minorité républicaine prône la guerre jusqu’au bout.

Adolphe Thiers est nommé chef provisoire du pouvoir exécutif. Déjà président du Conseil sous la Monarchie de Juillet, libéral sous le second Empire, il déteste le bellicisme irresponsable. Il hâte donc les négociations avec l’occupant.

Une utopie sanglante

- 26 février 1871, les préliminaires de paix sont conclus à Versailles (le traité définitif sera signé le 10 mai à Francfort). Si l’Assemblée ratifie les conditions du traité (perte de l’Alsace et de la Moselle, lourde indemnité de guerre), 107 voix de gauche, dont les députés de Paris, ont voté contre.

- 1er mars 1871, selon les exigences de Bismarck, les Allemands défilent sur les Champs-Elysées. Dés lors, la tension monte à Paris où les gardes nationaux s’organisent en Fédération Républicaine de la Garde Nationale (d’où le nom des Fédérés qu’ils garderont).

Thiers s’installe au Quai d’Orsay mais, flairant le danger, fait siéger l’Assemblée, qui a quitté Bordeaux, à Versailles (symbole de la Monarchie absolue et sous contrôle des Allemands).

- 18 mars 1871, date de début de la Commune de Paris

Le gouvernement décide de désarmer les parisiens. Il s’agit de récupérer les 227 canons entreposés à Belleville et Montmartre, canons que les parisiens considèrent comme leur propriété car ils ont été fondus dans la capitale. La veille, Thiers avait pris la précaution de faire arrêter Auguste Blanqui (leader révolutionnaire) dans le Lot pour le transférer en Bretagne.

Le peuple parisien s’oppose à la troupe venue chercher les canons à Montmartre ; la troupe fraternise avec les insurgés, des barricades sont élevées ; deux généraux, Claude Martin, qui avait donné l’ordre de tirer sur la foule et Clément Thomas, responsable des massacres en juin 1848, sont fusillés rue des Rosiers (actuelle rue du Chevalier de la Barre, derrière le Sacré-Cœur). C’est le début de l’insurrection. Thiers gagne Versailles, environ 100 000 parisiens, surtout provenant des quartiers bourgeois de l’ouest parisien, et des fonctionnaires le suivent.

Les bâtiments officiels sont contrôlés par les gardes nationaux, le drapeau rouge (symbolisant le sang du peuple ouvrier depuis la révolution sanglante de février 1848 alors que le drapeau tricolore était le symbole de la répression) flotte sur l’Hôtel de Ville.

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- 26 mars 1871, le Comité Central de la Garde Nationale organise des élections pour désigner une nouvelle institution, la Commune, qui nomme 92 membres. La gauche l’emporte facilement car 53% de la population n’a pas pris part au vote. Dans  cette Assemblée municipale, les éléments modérés sont vite marginalisés.

Toutes les tendances politiques progressistes, républicaines et socialistes sont représentées.

Pour la majorité, jacobins se réclamant de la révolution de 1789, blanquistes et indépendants, le politique l’emporte sur le social (centralisateur et autoritaire). Ils se veulent les continuateurs de l’action des Montagnards de 1793. La minorité, radicaux et internationalistes proudhoniens, s’attache, elle, à promouvoir des mesures sociales et antiautoritaires.

Si ces luttes d’influence échappent à une grande partie des parisiens, ces deux tendances font quand même combat commun dès l’entrée des Versaillais dans Paris.

La nouvelle assemblée instaure des mesures activistes : le rétablissement du calendrier  de 1793,  la fondation des clubs révolutionnaires, l’interdiction des journaux hostiles à la Commune,  la fermeture des écoles catholiques et la création d’un comité de salut public pour traquer les traîtres …

-30 mars 1871 : la commune décide la remise des trois derniers termes des loyers parisiens.

 C’est un soulagement très apprécié de l’ensemble d’une population très endettée et cette décision devient surtout le facteur d’une adhésion populaire.

-19 avril 1871 : Vote d’un programme politique prévoyant de remplacer l’Etat centralisé par une fédération de Communes ; dans plusieurs autres villes de France (Marseille, Lyon, Saint-Etienne, Narbonne, Toulouse, Le Creusot, Limoges), des Communes furent proclamées à partir de fin mars 1871 mais furent rapidement réprimées.

Dans le domaine des cultes, la Commune rompt le concordat de 1802, qui régissait les rapports de l’Eglise et de l’Etat. Ceci, sous l’influence de la propagande blanquiste et également pour  aussi dénoncer l’attitude du Pape Pie IX hostile à la réunification de l’Italie. Le budget des cultes est supprimé et les biens du clergé  séquestrés.

De nombreux religieux sont arrêtés dès le début avril dont Monseigneur Darboy, archevêque de Paris au titre du «décret des otages» ; 47 d’entre eux, dont l’archevêque seront exécutés plus tard pendant la semaine sanglante (21 au 28 mai1871).

Pour la reconquête de Paris, Thiers va alors bénéficier de l’appui du Chancelier allemand Bismarck. Bien que la convention d’armistice n’autorise que 40 000 soldats français en région parisienne, Bismarck libère rapidement 60 000 prisonniers de guerre qui peuvent s’adjoindre aux 12 000 soldats dont dispose Thiers. Les Versaillais seront 130 000 au début de la semaine sanglante, soldats professionnels (service de 7ans) surtout issus du milieu paysan, commandés par le vaincu de Sedan, le maréchal de Mac-Mahon. Dns les banlieues nord et est qu’ils contrôlent, les allemands laissent passer les troupes versaillaises et bloquent de leur côté toute sortie parisienne vers l’est.

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La Commune dispose des hommes de la garde nationale. Depuis la restauration, tous les hommes de 25 à 50 ans en font partie. Le 5 avril 1871, la Commune décrète la mobilisation des jeunes de 17 à 19 ans et, en service obligatoire, des hommes de 19 à 40 ans. Ces hommes, malgré leur ardeur républicaine, sont assez réticents à la discipline et souffrent, malgré d’exceptions notables (Dombrowski, Rossel, Flourens), d’une insuffisance de commandement. Leurs officiers sont plus élus sur leurs convictions que sur leurs capacités à diriger des soldats. Si, théoriquement, la Commune possède près de 194 000 hommes de troupe, on pourra estimer  à 30 000 l’effectif  réel sur le terrain pendant le conflit.

Dès le 2 avril, les Versaillais occupent le Mont-Valérien, Courbevoie et Puteaux

Les communards se réfugient à Neuilly et de là, lancent une contre-offensive en direction de Versailles. Elle se traduit par des échecs à Rueil et à Châtillon et par la  mort de  Gustave Flourens, le stratège militaire des insurgés parisiens

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La Commune vote le 5 avril le décret des otages (trois otages fusillés pour un communard exécuté), sentence qui ne sera appliqué que pendant la semaine sanglante.

Après la prise de tous les forts au sud de Paris, les Versaillais rentrent le 20 mai dans la capitale par la porte de Saint-Cloud

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La Commune fut finalement vaincue durant la semaine sanglante, empreinte de féroces batailles dont  les derniers combats  se finirent au cimetière du Père-Lachaise le 28 mai 1871. Les témoins évoquent de très nombreuses exécutions sommaires de la part des Versaillais (de 10 000 à 25 000). Parallèlement, de nombreux «otages», dont les religieux furent fusillés par les communards. Ceux-ci incendièrent par ailleurs plusieurs monuments publics de Paris, l’Hôtel de Ville, le Palais des Tuileries, le Palais de Justice, le Palais de la Légion d’Honneur…L’essentiel de l’état-civil parisien fut également détruit.

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Les tribunaux  Versaillais prononceront 10 137 condamnations dont 93 à mort, 251 aux travaux forcés, 4 586 à la déportation en particulier en Nouvelle Calédonie (Louise Michel). 23 condamnations à mort furent effectives. Beaucoup d’insurgés parvinrent aussi à se réfugier à l’étranger. Puis des lois d’amnistie interviendront en 1880  qui gracièrent les Communards. Ils perdirent leur statut de bannis. Beaucoup revinrent en métropole et reprirent, par la suite, une vie politique.

A l’emplacement du lieu du soulèvement insurrectionnel de la Commune, à Montmartre, la basilique du Sacré-Cœur  fut construite par l’Eglise et l’Etat, pour « expier les crimes des fédérés». La  construction de la basilique du Sacré-Cœur, dite du « vœu national » fut décrétée par une loi votée par l’Assemblée Nationale en 1873 dans le cadre d’un nouvel «ordre moral ». Le  sentiment de «restauration» imprégnait toujours certaines consciences  puisque déjà,  le 4 septembre 1870, Monseigneur Fournier, dans son homélie attribuait  la défaite de la France contre la Prusse à une punition divine après un siècle de déchéance morale depuis la révolution de 1789

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La Commune de Paris, une révolution populaire autogestionnaire

Réaction à la défaite française contre la Prusse en 1870, l’épisode de la Commune de Paris est une expérience unique au monde d’autogestion qui a été revendiquée comme modèle par la gauche, l’extrême-gauche et les anarchistes. Elle a inspiré de nombreux mouvements et d’autres révolutions, russe, espagnole…Karl Marx a reconnu qu’il s’agissait du seul exemple français de la dictature du prolétariat en raison du fort soutien de la classe ouvrière et plus largement d’une grande partie de la population parisienne.

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 En effet, lors des élections du 26 mars 1871 pour désigner les 92 membres du Conseil de Commune, à côté des personnalités élues, la population a manifesté une extraordinaire effervescence politique. Les élections à répétition  qui ont suivi  furent à l’origine, avec les nombreux clubs de réflexion populaire, d’une activité législative considérable. Si la plupart des mesures furent abolies rapidement, certaines seront reprises par le régime républicain quelques décennies plus tard, notamment celles concernant l’école et les droits des femmes.

Quelles furent les mesures de la Commune dont cherchèrent à s’inspirer par la suite les mouvements progressistes ?

La Commune a-t-elle été une utopie ?  Elle a été avant tout un dessein qui n’a pu se réaliser.

Mais réalisable, pensera tout un cercle de pensée qui voudra s’affirmer par la suite comme son héritier et qui en reprendra de nombreux  principes :

1°  La Liberté de la presse : Plus de 70 journaux seront créés pendant cette période. En réalité l‘opinion est quand même mise sous contrôle. Dès le 18 mai, le Comité de Salut Public interdit les publications favorables au gouvernement Thiers.

2° Le Contrôle des élus L’appel du 22 mars énonce que «les membres de l’Assemblée municipale contrôlés, surveillés sont sans cesse révocables», leur mandat est impératif.

Les fonctionnaires sont élus, soumis à un traitement maximum et à la règle du non-cumul.

3° Le Gouvernement des travailleurs par les travailleurs C’est l’esqusse d’un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, d’une démocratie directe reposant sur une citoyenneté active renouant avec l’esprit de 1793. Annonce des prémisses de l’autogestion. Dans les entreprises, un conseil de direction est élu tous les 15 jours

La Commune de Paris ouvre la citoyenneté aux étrangers

Le drapeau rouge de la Commune sera repris pour devenir l’emblème de tous les mouvements ouvriers 

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4° L’Emancipation des femmes par la lutte armée  Les femmes s’émancipent  tout d’abord par leur implication dans les combats. Elles  se battent, comme Louise Michel, sous l’habit de fédérés sur les barricades (elles sont une centaine place Blanche avec Nathalie Lemel).  Ensuite, elles mettent en application le décret de séparation des Eglises et de l’Etat  en s’impliquant dans structures comme les écoles et les hôpitaux ; Droit au travail, égalité des salaires, union libre, égalité des droits entres mariés et célibataires, entre enfants légitimes et naturels…Sur le chemin de l’émancipation des femmes, la Commune a marqué une étape importante. Sous l’impulsion d’Elisabeth Dimitrieff, jeune aristocrate russe, et de Nathalie Lemel, ouvrière relieuse, se crée l’un des premiers mouvements féminins de masse, l’Union des Femmes pour la Défense de Paris et les soins aux blessés qui réclame le droit au travail et l’égalité des salaires (application partielle pour les institutrices). La Commune reconnaît l’Union Libre et verse une pension aux veuves de fédérés mariées ou non ainsi qu’à leurs enfants légitimes ou naturels. Le mariage libre par consentement mutuel est instauré (16 ans pour les femmes, 18 ans pour les hommes. La gratuité des actes notariaux (donation, testament, contrat de mariage) est décidée.

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5° L’école laïque et égalitaire : L’enseignement est laïcisé, l’enseignement confessionnel est interdit, les signes religieux chrétiens sont enlevés des salles de classe.

Une commission exclusivement composée de femmes est formée le 21 mai pour réfléchir à l’instruction des filles. Quelques municipalités, en particulier le 20ème arrondissement, qui ont la responsabilité financière de l’enseignement primaire, rendent l’école gratuite et laïque. Le personnel enseignant est rémunéré à parité entre les hommes et les femmes.

 Les lieux marquants

On voit bien que tous les arrondissements du Centre et de l’Est parisien ont été plus ou moins marqués par la Commune de Paris ; si le début est surtout concentré sur le 18ème et Montmartre avec l’incontournable héroïne Louise Michel, et Jean-Baptiste Clément (le temps des cerises), on ne pourra occulter la place du Château d’Eau, actuelle place de la République, où de violents combats se déroulèrent pendant la semaine sanglante, la place de l’Hôtel de  Ville, centre de l’activité politique de la Commune, le cimetière de Montparnasse avec un monument sur une fosse commune de plusieurs centaines de communards, la place de la Commune de Paris 1871 au sommet de la Butte aux Cailles avec l’héroïque défense des fédérés du 13ème commandés par le général polonais Wroblewski et surtout le cimetière du Père Lachaise, théâtre des derniers combats, où 147 communards furent fusillés au pied d’un mur appelé maintenant « Mur des Fédérés », dans le 20éme arrondissement.

André .L.

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