201205 Retiens la nuit
La nuit, ne crains-tu pas d'entrevoir la stature
d'un brigand dont un sabre a chargé la ceinture !
Ne crains-tu pas qu'un follet à cette heure
n'allonge sous tes pas un chemin qui te leurre
et ne fixe, hélas, ainsi qu'aux anciens jours,
de marcher vers des clartés qui reculent toujours !
Crains d'aborder la plaine où le sabbat s'assemble
où les démons hurlants viennent danser ensemble
Dans cet ode "à un passant", Victor HUGO reprend et résume tous les imaginaires de la marche dans la nuit, inhibitrice de toutes nos angoisses et nos fantasmes. Dès que l'on évoque les ténèbres nocturnes, l'irrationnel bouscule rapidement le réel en laissant l'imagination fausser toutes la logique de nos perceptions.
C'est donc par défi et pour vaincre ces sortilèges que nous avions décidé d'inscrire une de nos marches, le 18 mai, dans cette période si singulière du temps où dit-on "soupirent les mystères et respirent d'étranges vies"
Prêts à affronter la virée nocturne
Pour certains, cette balade au clair de lune était surtout l'occasion d'apprécier ces instants fugaces du crépuscule où l'on voit l'ombre paraître plus longue et le soleil s'évanouir peu à peu derrière un rideau de nuages rosés. Pour vivre ces moments, nous nous sommes retrouvés vers 20 heures au coeur des grandes plaines du sud de Thoiry(78) prêts à suivre un circuit en triangle passant par Flexanville et Osmoy.
A cette heure là, et malgré une couverture nuageuse préoccupante, la lumière est encore vive et la marqueterie d'or des colza se différencie très nettement du vert tendre des champs de blé.
L'obscurité désirée parait encore bien lointaine. Mais avec la progression de la marche, un dégradé de teintes de plus en plus obscures touchent indifféremment les champs traversés, les prairies plus lointaines qui se distinguent faiblement et les bois dont les frondaisons barrent l'horizon.
Une faible clarté néanmoins persiste et le jour résiste à fermer son rideau. Autour de nous, pas de manifestation animale, peu de bruits si ce n'est le vol lourd des ramiers dérangés par notre passage. Le ciel rougeoie de plus en plus sur la ligne d'horizon.
Puis à 22 heures, passé le clocher octogonal de l'église d'Osmoy, le ciel se craquelle et chasse d'un coup un résidu de nuages gris encombrants, comme s'il se voulait totalement apaisé et offert pour que la nuit enfin s'installe. Celle ci a compris l'appel et s'impose aussitôt en moins de dix minutes.
La voûte céleste est maintenant presque vide et sereine. Sorties de nulle part, petit à petit, des étoiles se mettent à scintiller au dessus de nos têtes. Torche sur le front ou baladeuse en mains, nous ne sommes plus les mêmes marcheurs. Progresser dans le noir devient une nouvelle expérience qui éveille les sens. Les conversations échangées s'arrêtent pour laisser place au dialogue intérieur. Seuls le bruit de nos pas sur le sentier empierré brise le silence. De nouvelles constellations, que nous ne savons reconnaître, s'allument dans le ciel. L'instinct grégaire ressurgit et nous force à nous arrêter souvent pour reformer un tout et regrouper les lueurs.
L'imagination de chacun devient débordante dans cette nature que nous devinons sans la distinguer vraiment. Nous apprécions différemment les notions de distance, de vitesse, de durée. Nos repères changent, ce qui nous conduit d'ailleurs à ne pas apercevoir le chemin direct du retour. Le nouvel itinéraire, un peu plus long, aboutit sur une route heureusement déserte car il est près de minuit. Flexanvile, terme de la balade est cependant proche. Nous y accueillent les aboiements de chiens, inquiets par le faisceau de nos lampes.
Sans avoir ressenti un parfum d'aventure, cette expérience nocturne a cependant satisfait les participants qui disent y avoir apprécié un milieu beaucoup plus accueillant qu'angoissant. De tous temps, mythes et religions ont souvent investi le domaine nocturne. L'Islam, parait-il, prétend qu'Allah ne descend pour nous exaucer que dans la seconde partie de la nuit. Cette annonce serait-elle un enjeu pour un de nos projets futurs?