201301 Cergy sur scènes
Dans les années soixante-dix, à la création de la ville nouvelle, Cergy n’est encore qu’un paisible village d’origine rurale. Au lieu de se greffer sur ce noyau, les urbanistes ont plutôt choisi de créer de toutes pièces un nouveau centre distinct, situé un peu plus haut sur le plateau. C’est la raison pour laquelle, en ces lieux, la boucle de l’Oise a pu conserver son caractère d’amphithéâtre naturel et continue d’offrir encore des espaces préservés de l’urbanisation.
Notre projet de randonnée entre ville et campagne a pris donc logiquement le cadre de Cergy pour comprendre ce que peut signifier la notion de ville-paysage.
Le 4 janvier, 19 participants, bien déterminés à appliquer de bonnes résolutions hygiénistes, se retrouvent devant la station Rer Cergy-Préfecture.
Circuit entre Préfecture et Saint Christophe par la boucle de l’Oise et le vieux village
Dès les premiers pas, la structure de l’urbanisme de la ville nouvelle est évidente. Elle repose sur un quadrillage d’îlots autonomes délimités par de grandes avenues. A l’intérieur un maillage complexe de voies piétonnes, de petits espaces verts, de rues circulaires et de passerelles met en relation chaque partie avec l’ensemble. Le nom donné à ces quartiers et à leurs rues procède à 95 % du passé rural et historique des lieux. Christian, à l’érudition sans faille, nous précise par exemple que la zone que nous traversons, dite Les Touleuses, fait référence au nom local des anciennes barques à fond plat. Mais tout cela ne laisse pas l’impression d’une grande homogénéité d’habitat et nous devinons que les résidents se définissent plus par leur quartier que par la ville.
Nous atteignons assez vite l’Oise et le paysage se transforme. Sur la rive gauche, en face, rien ne rappelle la modernité. Au pied du côteau d’Eragny, ce n’est qu’une succession de vieilles villas en meulière protégées par d’immenses jardins qui plongent vers la rivière. On a l’impression de ne pas être là où on croyait être. Devant nous, coincée entre le cours d’eau et le bois de Cergy, s’étend une plaine alluviale. Elle est entièrement dévolue aux productions maraîchères. A cause de la courbure de l’Oise, elle prend la forme d’un croissant. C’est sûrement le caractère inondable de la zone qui lui a permis de conserver son activité agricole. A sa pointe, une marina, dont la présence parait très insolite en région parisienne, anticipe la jonction avec le vieux village. Un port de plaisance, totalement artificiel, y a été creusé dans les années quatre-vingt. Les bâtiments qui l’entourent s’inspirent de l’ambiance marine. Des quais et passerelles permettent de faire le tour des bassins. Certains logements bénéficient de grandes terrasses donnant sur l’eau. Avec ses frontons, son faux clocher, ses restaurants, la marina a une petite allure de Disneyland.
Le vieux village est beaucoup plus authentique et notre visite commence par son joyau, pas assez connu, l’église Saint Christophe. Modifiée au cours des siècles, elle est doublement remarquable par son porche fortifié datant du Moyen-Age et par son portail avec tympan sculpté de l’époque Renaissance. Comme Saint Christophe portait le Christ sur ses épaules, elle porte par sa présence le témoignage d’un héritage culturel ancien qui diversifie et complète le patrimoine architectural de l’agglomération.
Les maisons du village se structurent le long de la grande rue centrale. Les portes d’anciens corps de ferme sont toujours visibles. Elles abritent souvent des chasse-roues, bornes de pierre qui protégeaient les arêtes de mur du passage des charrettes. Quelques maisons bourgeoises du 19ème siècle s’intercalent çà et là, séparées de la rue par un petit jardin. Nous empruntons de petites venelles qui partent au dos des maisons pour monter sur le côteau. Autrefois elles amenaient aux pieds des vignes, maintenant elles ne conduisent que vers de rares vergers encore cultivés par les habitants. D’autres sentes, au contraire, descendent vers la rivière. La sente des roches, que nous empruntons, suit la limite des hautes eaux atteinte au siècle dernier par une crue centenaire.
Passée la maison de Gérard Philippe, demeure bourgeoise qui fut résidence secondaire de l’acteur, notre trajet débouche devant la grande passerelle métallique rouge qui permet la jonction avec la base de loisirs, située sur la rive opposée. Œuvre d’art, elle s’élance au-dessus de l’Oise et sa perspective rejoint celle, beaucoup plus lointaine, de l’axe du Louvre-Grand Arche de la Défense. Elle est surtout partie intégrante du tracé dit de l’Axe Majeur, parcours urbain jalonné d’œuvres monumentales qui représentent et mettent en scène des "rencontres entre l’espace et le temps"
Nous nous trouvons surtout au pied des 300 marches qui remontent à l’Esplanade des Douze Colonnes, autre œuvre de l’Axe Majeur.
Elles sont dures à grimper, mais soudain, à mi-chemin, deviennent interdites. Renseignement pris, la zone sommitale servira en nocturne pour une manifestation pyrotechnique. C’est donc lointain, et nous décidons d’ignorer l’avis. La tête du groupe débouche sur l’esplanade pour se trouver nez à nez avec un vigile dont la présence doit garantir l’inviolabilité du lieu. Offensé par notre montée, il devient vite offensif et nous demande de redescendre. Nous sommes fautifs mais repentants, lui, demeure intraitable. Plus nous regrettons notre indiscipline, plus il s’enivre de sa parcelle d’autorité. L’épisode se conclut, comme souvent, de manière arbitraire et peu équitable. Les premiers arrivés peuvent se faufiler vers la sortie, les autres doivent redescendre et faire un grand tour.
Regroupés un peu plus tard, par une brèche entre des bâtiments néo-classiques signés par Bofill, nous nous glissons dans les rues de la ville nouvelle. Elles nous conduisent jusqu’à la station de Rer-Saint Christophe, terme de la balade.
"C’est la ville à la campagne, ici on a le meilleur des deux mondes !" Telle était, il y a plus de quarante ans, la devise des promoteurs de l’agglomération. Est-ce encore le cas ? Les avis sont partagés. Nous retiendrons seulement celui de Maurice, ancien fiscaliste de BP, rencontré par le plus pur des hasards au cours de la randonnée. Son déni sur un proche passé apparemment favorable ne s’embarrasse pas de précautions oratoires. "J’ai voulu vivre aux Caraïbes, et puis je suis vite revenu à Cergy !"
Maurice, le fiscaliste
Faisons crédit à son expérience. De toute façon, ce soir sur la place des quatre colonnes, une scénographie pyrotechnique illuminera tout l’Axe majeur, dont une séquence intitulée "Fantaisie Tropicale", qui lui rappelera des souvenirs.
N’oublions pas aussi que chaque année, à la mi-septembre, les places de Cergy servent de scène pour accueillir un important festival des arts de la rue, du cirque et de l’imaginaire.
Alors à quand des propositions pour un autre voyage culturel à Cergy ?
