201302 le retour de l'Imam
Déterminé, imperméable, il domine, depuis la Sente des Jardins, l’étroit terrain en pente dont l’entrée principale se situe un peu en contrebas au numéro 23 route de Chevreuse à Neauphle le Château. Du petit groupe d’une trentaine de personnes qui se trouve à ses côtés, il entend ce qu’il croit être des cris d’allégresse et des chants de reconnaissance.
Ses sourcils renfrognés contrastent avec la douceur habituelle de son visage. Il sait aujourd’hui qu’il a gagné. Après des années d’exil, il vient de contraindre à la fuite l’autorité qu’il combat depuis plus de quinze ans. Depuis son arrivée dans les Yvelines, muré dans son orgueilleuse solitude, il n’a cessé de la dénoncer.
Son épouse, "la lumière de ses yeux et la force de son cœur" est à ses côtés. Elle a embrassé sa cause. Mais elle se méfie de ses ministres qui commencent à se gonfler d’une importance égale à la hauteur du turban qu’ils portent ostensiblement sur la tête. Elle est déjà persuadée qu’ils seront sa faiblesse. On ne gouverne pas un peuple avec la force exclusive du clergé !
Doucement, Christine prend la main de son mari et lui murmure à l’oreille.
"André, je sais qu’aujourd’hui tu as mission d’évoquer la relation entre Neauphle et l’Ayatollah Khomeini à tes amis randonneurs. Mais je crains que tu t’identifies trop au personnage et à cette histoire! On n’est plus le 1° février 1979. Sors de ton rêve et reviens à la réalité ! "
Les randonneurs, eux, ont bien en tête qu’en ce 15 février cela fait donc trente-quatre ans que l’Imam Rouhollah Mousavi Khomeini a quitté définitivement Neauphle le Château pour un retour triomphal en Iran. Si cet épisode a donné une renommée mondiale à la localité, pas grand monde en fait n’a pris la peine de la découvrir. Au 19° siècle, le transfert de la nationale vers la vallée, en contrebas de la butte de l’ancien château, a endormi le village. Cette tranquillité en fait maintenant son charme. Nos marcheurs l’apprécient lorsqu’ils descendent sa Grande Rue bordée d’anciennes maisons aux murs couverts de glycines et de lilas.
Mais on n’y sent plus les effluves d’oranges amères car l’usine Grand Marnier vient d’y fermer ses portes depuis plus d’un an. Au voisinage de Jouars-Pontchartrain, ils retrouvent dans la côte de la Chaussée au Coq, les traces du GR qui remonte sur le plateau et pénètre dans la Forêt de Sainte Apolline, incluse entre les communes de Neauphle et Plaisir.
Chrétienne d’Egypte au troisième siecle, Apolline fut édentée par ses tortionnaires avant de se jeter volontairement dans un brasier pour ne pas avoir à renier sa foi. Cette vocation au martyre en a fait logiquement la patronne des dentistes et autres arracheurs de dents.
Le sentier, près de la ceinture du bois, apparaît très vite comme trop large et trop monotone. Il est parait-il peu recommandable la nuit, fréquenté par une faune spécifique en quête d’exhibitions et de rencontres pimentées.
Au carrefour de la Table Ronde, les marcheurs l’abandonnent et expérimentent une sente qui suit un talweg peuplé de pins laricio altiers et sombres qui détonnent dans le couvert de feuillus. Le groupe débouche en contrebas sur un ancien étang de pèche que surplombe un chemin à demi-suspendu d’où partent, çà et là, des laies forestières plus ou moins entretenues.
Apparaissent très vite les premières maisons de Plaisir puis le retour de la circulation automobile dans le centre du bourg. Son château, très discret, se découvre en retrait de la place centrale. Il se profile au fond d’une prairie coupée en son milieu par un large bassin-canal qui joue le rôle de miroir d’eau.
Grâce à l’entregent de Gérard, un local annexe au château est mis à disposition pour la pause-déjeuner. Il servira ensuite de salle de conférence puisque c’est ici que l’orateur du jour a prévu de nous instruire sur le personnage le plus célèbre de Neauphle et sur le monde du Chiisme. Il s’en acquitte à la perfection avec un regard dénué d’admiration ou de critiques. Sa connaissance n’est pas étalage et sert avant tout à rendre plus intéressants les échanges avec l’assistance.
Après ce déjeuner-débat, s’amorce l’itinéraire de retour. Un peu d’énergie restituée par la pause de midi et le groupe avale sans sourciller la moindre déclinaison. Un peu de taches de bleu dans un ciel qui se découvre enfin et la température réchauffe vite les cœurs et les corps. Un peu d’espoir pour une fin de semaine ensoleillée et les projets à venir foisonnent et s’échangent à l’envi.
Resté à l’écart, André marche en tête, toujours habité par l’image de celui dont il a pris plaisir à réveiller le souvenir. La masse lointaine du château d’eau de Neauphle qui se dessine à la sortie du bois indique que l’arrivée est proche. Dès l’entrée du bourg, il a soudain l’impression fugitive d’entrevoir une silhouette surprenante. Celle d’un vieil homme enturbanné, emmitouflé dans un large châle de laine, qui cherche dans sa promenade le réconfort des premiers rayons du soleil.
Le temps de ciller les yeux, et l’image à disparu. Ce n’était donc qu’une illusion ! André se rappelle que souvent la passion égare et que le cerveau en profite pour mettre la zizanie là où elle devient trop prégnante.
Qu’importe ! La marche de ce jour, entre évocation et balade, a eu du sens. Elle a permis de satisfaire nos curiosités intellectuelles et esthétiques, de nous faire entrer un peu dans l’intimité de l’Histoire. Ce n’est déjà pas si mal !