La brigade du Tigre

Publié le par club rando

En 1895 Georges Clémenceau, alors journaliste, publiait une chronique dans laquelle il affirmait son admiration pour le peintre Claude Monet. Cet acte signe le début d’une grande amitié entre les deux hommes. Dix ans plus tard, Clémenceau renforce ce lien en acquérant un petit manoir à Bernouville près de Gisors, facilitant ainsi ses constantes visites à Giverny. Redevenu homme politique en 1927, il obtint les soutiens financiers nécessaires pour que son ami puisse finir et exposer son œuvre majeure «les Nymphéas».

André a sa boussole, c’est la passion de l’histoire. En ce petit matin frais de début mai, devant la grille du manoir de Bernouville, il prend plaisir à s’exécuter de la commande confiée : dresser à ses vingt compagnons de sortie le portrait de l’ancien locataire du lieu.

La brigade du Tigre

L’enjeu n’est pas évident car Clémenceau, avant d’être encensé du titre glorieux de «Père la Victoire», s’était surtout distingué par sa redoutable férocité politique. «Un tigre, aux colères terribles, dont on redoutait l’épée ou le pistolet et surtout la langue, son arme la plus cruelle!» Partir sur la piste d’un tel fauve est une voie périlleuse tant les rebondissements historiques furent nombreux. Relevons, parmi d’autres, l’épisode du titre revendiqué de «premier flic de France.» Clémenceau engagea la lutte contre le banditisme qui saignait les campagnes en créant une police mobile surnommée, en raison de l’image de leur instigateur, les «brigades du tigre»

La brigade du Tigre

André annonce sa méthode qui part des faits, des dates ou simplement des lieux, comme c’est le cas aujourd’hui. On l’écoute d’abord d’une oreille distraite puis l’attention se concentre lorsque l’orateur s’efforce d’aller plus loin que les faits. Tout discours historique est forcément un peu un discours sur soi, sur la société et le monde. Comme le suggère André, plonger dans le passé, c’est mieux remonter le flot du présent.

Pour Jacques T, si le meilleur des balades est dans le projet, il l’est aussi dans le souvenir. Bien que des circonstances l’aient amené à suivre des voies différentes de celles du groupe, il ne rêve toujours que du chemin. Il a ressenti le besoin de venir renouer des amitiés complices, profitant d’une des opportunités de son calendrier. En vieux professionnel, il ne s’est pas trompé de journée. Car ce matin «un brillant soleil s’est levé dans de purs et larges cieux»

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Le circuit à suivre empruntera une longue boucle resserrée autour du cours de la Lévrière. Cette rivière naît en forêt de Lyons et coule en direction du sud-est, en parallèle à l'Epte. À Bézu-Saint-Éloi, elle se renforce de l’apport de la Bonde puis vient confluer avec l'Epte en aval de Gisors.

A deux kilomètres du départ, le trajet attaque une ligne droite herbeuse encadrée de peupliers et de grands chênes. Avec sa longue perspective, elle prend une allure britannique propice aux confidences ou aux révélations de secrets qui ne peuvent se murmurer qu’à l’oreille. On imagine volontiers le lieu se transformer la nuit venue en salle de bal où les lapins aiment à danser sous la lune.

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La forêt de Gisors succède à cette trace si douce. Elle est large, généreuse et apaisante. De nombreuses trouées y diffusent une vive luminosité. Les pluies récentes ont réveillé les premières senteurs, d’ail sauvage sur les parties les plus fraîches, plus lourdes sur les bas-fonds. De ces bois, la légende prétend que sortiraient des souterrains où se cacherait le fameux trésor des Templiers. Cette présomption a fait fantasmer des générations entières d’historiens, écrivains et mystiques. Les fouilles sont toujours restées vaines. Car le trésor serait peut-être autre que matériel, un secret pouvant mettre à mal l’histoire du Monde. Pour l’heure les seuls gagnants de l’aventure restent l’aura des Templiers, qui a réussi à survivre au tragique du destin, et les promeneurs qui se sentent protégés par l’abri de cette voûte chlorophyllienne.

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Sur la prairie qui fait face au château de la Rapée, les papillons de printemps virevoltent au-dessus de l’opulence blanche de minuscules fleurettes qui tapissent le sol. Rencontrer ce château, en plein cœur de forêt, est insolite. Transformé maintenant en hôtel, on imagine aisément cet édifice du dix-neuvième siècle, aux allures de manoir anglais, servir de cadre à un roman de Gustave Flaubert.

La zone du Plan Godet affirme la frontière entre couvert et champs ensemencés. Luminescent, le manteau jaune des colzas recouvre le paysage. La masse végétale de cette plante embellit la campagne du bout de ses collerettes blondes. Comme si elle avait absorbé toute la substance du soleil pour la restituer le long de ses pétales. La descente vers la vallée de la Lévrière s’effectue sur un tapis d’or.

La brigade du Tigre
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Dans le village de Saint-Denis-le-Ferment, la vie s’est resserrée autour de l’école communale, blottie dans le joli écrin inclus entre l’unique rue et les rives de la rivière où sera pris le déjeuner. A elles seules, l’herbe verte, la berge aménagée et l’ombre conciliante des saules contribueront à la magnificence du repas.

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Le tracé de retour suit le cours de la rivière dont la largeur excède rarement les dix mètres. Le courant plutôt placide s’écoule au-dessus d’un fond de tapis herbeux propice aux truites farios. Le chemin creux s’efface quelquefois devant l’intrusion d’un bois ou le débordement d’un pré. Il s’excuse, fait un léger coude puis reprend la linéarité du trajet, toujours bordé de noisetiers qui laissent passer une lumière exquise. Quelques vaches et de paisibles chevaux assurent la permanence de la vie dans les prairies. Lors de la traversée de Bézu-Saint-Eloi, la marche tire doucement vers sa conclusion. Pour la première fois de la saison les vingt kilomètres vont être dépassés sans que l’on s’en aperçoive. Il ne reste plus qu’à suivre l’ancienne voie ferroviaire qui ramène à Bernouville.

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A cette heure avancée dans l’après-midi, le thermomètre daigne enfin s’élever de quelques degrés. Les lèvres s'assèchent un peu . Brigitte s’est rapprochée de Michel. Déjà ils ont reçu de la brigade du jour les premiers compliments pour leur parfaite organisation et la sélection du parcours. Ensemble, ils boivent cette appréciation comme un grand verre d’eau fraîche.

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Maison de G. Clémenceau à Bernouville (27660), l’ancienne voie de chemin de fer, les Riquets, l’allée forestière du bois des Ventes du Four à Chaud, la route des Hauts Maunis, le château de la Rappée, la D16, la descente du Plan Godet, Gruchet, le centre de Saint-Denis le-Ferment en aller/retour, le GR 125 par Saint-Paer, Saint-Eloi, retour à Bernouville par l’ancienne voie ferrée

Le Parcours

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A
j'aime me promener ici. un bel univers. vous pouvez visiter mon blog (cliquez sur pseudo)
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