L'emprunt russe

Publié le par club rando

En quittant l’A15 et son flot excessif de camions qui grondent,  le ruban droit de la route traverse un large territoire hérissé de belles futaies. La radio du véhicule diffuse le "Stabat Mater de Pergolèse" dont la mélopée empreinte de dolorisme sulpicien accentue la solennité de l’alignement forestier. Un panneau indique l’entrée de l’agglomération de l’Isle-Adam, suivie immédiatement par un rond-point, une zone commerciale et son fast-food obligatoire.

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C’est le seul apport à la modernité car la route côtoie les anciennes belles demeures de l’Avenue de Paris puis descend, telle une allée seigneuriale, vers le centre-ville, histoire de  rappeler le temps où l’Isle-Adam fut le fief des Princes de Conti. Tout près des rives nonchalantes de l’Oise, Christian dirige les véhicules des 16 randonneurs à trouver le bon emplacement. C’est tout récemment qu’il a appris que sa qualité de résident le désignait d’office à prendre les rênes de la balade du jour. Il n’a rien revendiqué, n’a lorgné ni faveur ni prébendes, mais a accepté avec gentillesse de revêtir ce costume d’emprunt. Après une bonne dizaine d’années d’exil moscovite, il a fini par se lasser du bortsch et des zakouskis pour choisir de s’enraciner à l’Isle-Adam. La rivière est à deux pas de sa porte, la forêt à une portée du regard et le climat moins sévère que les rigueurs de la taïga. Bien qu’il ne nourrisse aucune nostalgie pour la vie au kolkhoze, c’est surtout l’élégante discrétion de la localité et son cachet de ville-parc qui l’ont réconcilié avec la France.

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Ignorant le petit pont qui relie l’autre rive, sous le ricanement d’un corbeau, la promenade débute par la visite d’un minuscule îlot. Aux environs de l’an mil, un château l’occupait. Le premier seigneur connu s’appelle Adam. Sa famille ajoutera au patronyme celui de l’Isle en raison de la situation géographique. La châtellenie fut détruite pendant la guerre de Cent Ans mais l’îlot puis par extension la ville gardèrent le nom. Accompagnée par le faible bruit du clapotis contre le muret de la berge, une légère odeur de vase monte de  l’Oise. Juste après commence "la Plage". Cet ensemble balnéaire construit dans les années trente avec piscines, plongeoirs, cabines de bains, tennis et bâtiments de style art nouveau a fait  longtemps la fierté de la ville. Durant l’entre-deux guerres, l’établissement est à son apogée. Débarque de Paris par le train, en à peine une heure, toute une clientèle huppée qui s’y presse. L’Isle-Adam était la station où toute la haute société devait se montrer. Pour la génération actuelle, les rives de l’Oise ne sont plus assez bleues. Fini le lustre d’antan, l’établissement attire davantage  les écoliers que les dandys et estivants.

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Juste en face, des oies bernaches se prélassent par mimétisme sur les pelouses de l’Ile de la Dérivation. Familières des lieux, elles préfèrent se la couler douce près de l’onde que voler en formation au-dessus des montagnes de l’Oural dont elles sont originaires. Il arrive parfois que Christian les interpelle, à la russe, portant un toast pour que se reboise la steppe et fleurisse la toundra. D’autres navigateurs, eux aussi venus du nord, s’intéressent à la marina voisine en voie d’achèvement. Pourquoi cette ville fluviale se met-elle à rêver de pontons comme une cité balnéaire ? L'Île-de-France compte plusieurs sites de plaisance comme l'Arsenal à la Bastille, Cergy, Nogent-sur-Marne et Conflans-Sainte-Honorine. Mais depuis quatre ou cinq ans, cela ne suffit plus, la région reçoit d’incessantes demandes d’anneau de plaisanciers venus d'Angleterre, de Belgique, des Pays-Bas qui en route vers le sud ne peuvent accoster près de Paris.

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Passée la base nautique des Ablettes, s’ouvre la platitude céréalière, sans le moindre faux pli. Elle s’étale largement mais n’est que le marchepied de l’immense espace forestier qui se discerne vers le fond. Les champs de blé y habillent le paysage d’une nappe d’un vert tendre uniforme. La matinée s’avance, le soleil brille, l’air s’assèche et le corps se réchauffe. Le rythme de la marche s’affaiblit.

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La plaine est heureusement mouchetée d’oasis. D’abord le bois des Communaux  qui taquine le golfe de l’Isle-Adam. A côté des parcours, un hôtel flambant neuf s’apprête à livrer ses commodités. Plutôt réservées, puisque des droits d’entrée élevés les destinent principalement à une clientèle chinoise aisée. Plus loin, la fraîcheur du bois de Prérolles procure une sensation mitigée, à la fois d’abris et de vitalité. Sa montée douce débouche derrière le cimetière de Presles. Celui-ci domine le village et tutoie le mur du château qui abrite la fête  rituelle de "Lutte-Ouvrière". Association bien inédite que celle d’un domaine foncier et d’un mouvement d’origine trotskyste. Quinze jours plus tôt, sous les frondaisons du parc, l’herbe a dû paraître bien accueillante aux militants. Des bouteilles ont surgi des sacs et des rires ont fusé. Tous ces nostalgiques du marxisme ont partagé le pain, tranché le saucisson mais n’ont sûrement pas oublié de fustiger la dégénérescence de "l’orthodoxie".

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Les ombres des marcheur glissent dans la forêt domaniale, pause fraîcheur agréable pour revenir vers l’Ise-Adam. Au pied des arbres, les fougères aigle recouvrent le sol, affirmant le renouveau de l’été. A l’approche de la ville, l’allée rectiligne des Louveteaux débouche sur une petite saignée qui fourrage dans les taillis avant d’atteindre les premières maisons puis le Pavillon Chinois.

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Cet édifice est une "folie" orientaliste dessinée par le peintre Fragonard et construit au XVIIIe siècle. Son toit en pagode repose sur un péristyle de huit piliers de bois. Des fontaines en forme de lion le gardent, elles n’effrayent plus que les pigeons. Le Pavillon vient d’être restauré, repeint en rouge et or, avec de belles couches de dorure. Elles brûlent un peu les yeux. Il faut se méfier, dit-on, de tout ce qui brille.

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Dans la grande rue commerçante, l’accent que l’on entend le mieux ne semble venir ni de Russie ni de Bouriatie septentrionale mais plus curieusement des ramblas de Palma. Traverser l’Isle-Adam en cette fin d’après-midi, c’est presque croiser la moitié de Soller. En moins de temps qu’il ne faut pour franchir neuf parallèles, Madeleine, Dany et Michel viennent de recomposer la tribu majorquine inséparable qui ne se déplace jamais que d’un bloc.

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Tous trois ont choisi de se retrouver pour fêter la Saint-Jean en lle-de-France, peut-être pour y retrouver aussi quelques souvenirs de l’enfance. Ils ont bien apprécié la balade et, comme les autres participants, ont tenu à féliciter l’organisateur. De tous ces hommages d’expert, Christian n’a pu éprouver qu’une légitime fierté.

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Le parcours

Isle-Adam 95290, l’ilot Adam, la Piscine, le nouveau port, la rosière, les ablettes,  Mours, la ferme du vieux-moulin, le bois des communaux de Nointel, le golf,  Prérolles, le haut de Presles, les trente arpents,  le plan de chênes, le chemin des louveteaux,  les forgets,  le Pavillon Chinois, le centre-ville de l’isle-Adam

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M
A très bientôt à OLORON STE MARIE.
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