Accro à l'acronyme
Jusqu’ici, l’arrivée de nos bonnes vieilles grippes qui survenaient dès la moindre froidure nous laissait particulièrement indifférents. Mais l’étrangeté de ce virus lointain, distillé"goutte-à-goutte" sur toutes les chaînes d’info en continu, contribue à éveiller l’inquiétude. En ce premier vendredi de mars, il n’y aura pas d’autres choses à craindre que le risque d’une matinée agréable. Les Pisciacais* l’ont joué collectif. Ils ont réuni leurs cinq volontés pour offrir aux 25 invités le décor de leur vie habituelle. On passera notamment de la rencontre du Poissy médiéval à la découverte du Parc du peuple de l’herbe, nouveau lien entre ville et nature. Avant de se mettre en route, dans le souci de prendre soin de soi et des autres, les consignes anti-épidémiologiques en cours seront bien évidemment signalées.
l'équipe de Poissy
"Que l’on fasse sonner de joyeux carillons, il faut se réjouir et remercier Dieu qui nous donne un fils et roi." Ainsi s’exprimaient les chroniqueurs de l’époque le 25 avril 1214 à la naissance de Saint Louis. Peut-être en fait un petit peu plus tard puisque les historiens ne sont pas vraiment certains ni de la date ni même du lieu exact. Néanmoins officiellement certifiée cité natale de celui qui fut dénommé Louis de Poissy, la ville est dominée par sa collégiale flanquée de ses deux clochers octogonaux.
On éprouve un léger trouble visuel en pénétrant dans l’église plongée dans la pénombre. Un grillage préserve les fonds baptismaux qui virent le baptême du Saint-Roi. Ils ressemblent maintenant à un amas pierreux protégé par une grille. Les fidèles auparavant avaient pris l’habitude d’y gratter la pierre dont les poussières dissoutes dans l’eau produisaient, croyait-on, des guérisons miraculeuses. La très belle statue d’Isabelle de France resplendit sous le halo tremblant d’une lueur orangée. Les traits sont réalistes tout en dégageant une sorte de qualité poétique. Exécutée au milieu du Moyen-Age en pleine époque des Rois Maudits, la douceur de cette œuvre constitue un des plus belles expressions artistiques de ces temps présentés trop souvent comme brutaux.
Le Monastère Royal jouxte la collégiale. Il fut fondé en 1297 par Philippe le Bel en l’honneur de son grand père, Saint Louis. Racheté récemment par la municipalité, il accueille maintenant le Musée du Jouet. Une ancienne ruelle pavée débouche sur le parc Meissonier. Dans les allées du jardin, le vent qui vient de se lever siffle sur la cime des cèdres et invite à rejoindre la Seine.
C’est par le fleuve que la vieille ville se dévoile le mieux. On apprend vite qu’elle a subi des destructions causées par la seconde guerre mondiale. Les rares promeneurs rencontrés le long de la berge ne semblent pas trop se soucier de ce passé. Poissy pourtant n’a pas oublié cet épisode. L’ancien pont dont il ne subsiste que six arches en reste une cicatrice définitivement marquée dans sa peau. Il fut bombardé en 1944, ce qui entraîna la construction d’un nouvel édifice posé quelques centaines de mètres en amont.
Et juste passé ce pont, voilà qu’on découvre, caché derrière une coquette zone d’habitat, le Parc du peuple de l’herbe ou PPDH pour les intimes. Les pieds mouillés par la Seine, il s’est installé sur la rive convexe de la grande plaine de Carrières-sous-Poissy. Il y a trois ans, cette réserve de verdure a surgi des décombres d’un passé peu reluisant. L’endroit était auparavant souillé par l’épandage de métaux lourds, sans compter l’emprise des ballastières particulièrement actives au plus près du fleuve. Le parc a été aménagé à partir de l’existant. Les deux étangs qu’il contient (la Galiotte et la Vieille Ferme) ne sont que les vestiges de l’ancienne activité d’extraction de sable. Autour d’eux, les sols ont été dépollués de manière naturelle grâce à des plantations dites de phytoremédiation, composées d’espèces connues pour leurs vertus d’absorption des métaux lourds et des hydrocarbures. Le parcours suivi flirte longuement avec la rive. La frondaison des saules et des frênes accueille de nombreux oiseaux dont les vocalises devancent le bruit de l’onde.
Parmi ces chants, se reconnaissent les notes gazouillées de la bergeronnette, qui vit ordinairement près de l’eau. Au bout de l’étang de la Galiotte, une roselière offre repos et tranquillité à une colonie de canards. Profitant de l’abri, quelques mâles y débutent de timides tentatives de séduction.
Le cheminement opposé s’enfonce dans le cœur du parc. Le paysage change, prenant une image steppique. L’aménagement s’est voulu radical. Une végétation rase remplace les pelouses. Les mauvaises herbes sont choyées, on les soigne plus qu’on ne les coupe. Les insectes peuvent y réorganiser le foncier à leur guise. Ici, les graminées ne craignent plus la tonte, les invertébrés ne paient pas de taxe d’habitation, tous se laissent vivre. Comme d’habitude, les randonneuses dictent l’allure. Leur marche plus vive les oblige à attendre sur un banc leurs compagnons, trop bavards et souvent à la traîne. C’est l’endroit idéal pour ressentir les premières impressions. Malgré sa petite taille, le parc paraît vide ou plutôt incomplet. C’est sans doute l’effet de son exigence paysagère, peut être aussi celui de la saison. Il se dégage l’étrange sensation que les lieux restent un peu sur la réserve.
La contraction du Parc du peuple de l’herbe en PPDH a soulevé une petite controverse lexicale, certains regrettant le recours systématique à l’abrégé dans le langage courant. Les sigles et acronymes éborgnent bien souvent notre langue. Mais au fait, comment les reconnaître ? Bonne occasion de faire un rappel grammatical.
Le sigle est formé par une suite de lettres qui sont les initiales d’une suite de mots. Mais il arrive parfois que les lettres décident de se réinventer une autre vie. Cherchez pas pourquoi ! Des initiales, mais pas que, se contractent en nouvelle association syllabique et deviennent ce qu’on nomme un acronyme. Tout lui est permis. Les acronymes comme assedic, bobo, ovni ou le tout récent covid se prennent pour des mots ordinaires, se passent de majuscule et admettent le pluriel. Le sigle a bien essayé de résister en cherchant à affiner sa silhouette. Cédant au laxisme de l’époque, le dictionnaire a lâché un peu la bride et accepté que les sigles s’allègent des points logés auparavant entre ses lettres. Il a autorisé ainsi l’émergence des PPDH, EDF, VTT, CGT et autres WC. En s’appuyant justement sur le cas du dernier sigle cité, le grammairien Bruno Dewaele a pu écrire avec malice, "même dans ce domaine, la chasse n’est plus gardée !"
*gentilé qui désigne les habitants de Poissy dans les Yvelines
Le 07/03/2020 Poissy (78300) la Gare, la rue au Pain, l’Abbatiale, le musée du Jouet, la ruelle de l’Enclos de l’Abbaye, le parc Meissonier, les rives de Seine, le pont ruiné, le pont sur la Seine, Carrières-sous-Poissy, le Parc du peuple de l’herbe, retour à la gare de Poissy par le même itinéraire.