Bas les masques

Publié le par club rando

Ils voulaient s’envoler pour Kaboul et ils ont vu Vesoul. Ils rêvaient de traverser l’Orégon  mais n’ont pas dépassé les faubourgs de Vierzon. D’autres, qui auraient bien aimé poétiser aux champs ont dû se contenter, masqués et à distance millimétrée, de piétiner patiemment dans une des nombreuses queues d’Auchan. Curieuses vacances pour les randonneurs que celles de cet été 2020 où bien souvent tout s’est décidé à la dernière minute pour une destination fixée davantage par la couleur de l’état sanitaire que par la météo. Comme l’ensemble de leurs compatriotes, ils se sont sagement adaptés aux consignes censées stabiliser la courbe de la contamination. Porter le masque est devenu la routine. Même les plus rebelles qui affichaient ouvertement leur scepticisme ne voulaient pas avouer que c’est plus par étourderie que par volonté qu’ils enfreignirent quelquefois les injonctions de la loi.

Bas les masques

Disciplinés et raisonnables les randonneurs !  On prétend même que certains se seraient plus intéressés au degré alcoolique des gels protecteurs qu’à celui de précieux flacons momentanément délaissés dans l’obscurité d’une cave.

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En ce premier vendredi de septembre, juste au-dessus de Brignancourt, une petite route bordée de peupliers longe un minuscule ruisseau avant de remonter par une piste bien formée vers le château de Saint-Cyr. En suivant sa trace, Dany et Fabienne sont toute à la joie, non seulement d’avoir rejoint leur groupe préféré après une abstinence de cinq mois, mais surtout de se mouvoir en ayant ôté cet encombrant artifice qui ampute le bas du visage. Trop longtemps privées de verdure et de relief, elles apprécient enfin de pouvoir reprendre du service. La randonnée devait cesser de devenir étrangère, elles ressentaient le besoin de la retrouver.

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Pour l’heure, se balader en extérieur à visage découvert est un privilège qu’il convient de savourer. La marche, du moins lorsqu’elle s’exerce en pleine nature, s’apparente à une danse qui stimule le corps et l’esprit. Elle suppose aussi l’assemblée. Même les apôtres les plus intransigeants pour la lutte contre la suspicion du virus n’ont pas voulu qu’une si belle chorégraphie à l’air libre finisse en bal masqué.

A cette heure avancée de la matinée, au travers de nuages en cavalcade provenant d’un front océanique, les rayons du soleil passent en ricochet sur les coteaux du Vexin français. Cette région offre une alternance raisonnable de culture, de prés, de bosquets et de petits villages préservés qui en font un paysage accompli où se ressentent toujours l’harmonie fondamentale de la campagne et l’appel à l’échappée.

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Un peu plus tôt sur le parking de la gare de Chars, en attendant les derniers de ses 11 invités, un petit chien lui a fait savoir qu’il aimait bien le bas de son pantalon. Douillettement blotti entre les mollets de Michel, l’animal a vite compris qu’il y obtiendrait une protection attentive, sûrement aussi l’affection d’une caresse. La scène n’a pas échappé aux premiers arrivés qui l’ont interprétée comme un excellent signe précurseur. Avec un guide du jour aussi doux, ils ne pourront être que bichonnés et dorlotés pour cette marche de reprise. Malgré la longueur annoncée de ce parcours en limite de l’Oise, ils savent qu’ils n’auront qu’à se laisser mener.

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En suivant en aval le cours de la Vionne, les bois de peupliers viennent jusqu’au bord du chemin. Pour éviter de transpirer, l’heure est venue de mettre le pull dans le sac. Après le stress de chaleur estivale, une rare prairie au bas d’une pente a repris un semblant de teinte anisée. La campagne s’environne d’une couronne de silence qui étouffe presque le bruit des pas, rendant facticement l’avancée plus légère. Dans un champ, les tiges de lin, couchées sur le sol pour rouillir sur place, attestent qu’elles n’ont pas encore reçu l’humidité suffisante.

Vers midi, sur le plateau de Rosmesnil la température est montée de quelques degrés, c’est juillet en septembre ! Les marcheurs qui redoutaient l’effet délétère de tous ces mois d’inaction sont heureusement surpris par leur état de fraîcheur.Quelle excellente nouvelle,  c’est Noël en septembre !  La forme n’a donc pas disparu.

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Revoilà alors les indicibles parlottes (dans le respect du mètre de distanciation règlementaire), revoilà la volonté de ne pas ménager ses forces, revoilà le pique-nique enjoué qui aurait pu durer une heure de plus. Bien sûr que pendant cette longue absence, la nature n’a pas été fermée à clé. Mais il était grand temps de tout rattraper !

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Le village de Villetertre appartient administrativement au département de l’Oise. On s’y attarde alors qu’avant d’y poser le pied on ignorait même son existence. Le déclic s’est fait d’entrée, au pied de la butte qui lui a donné son nom. On a pris un peu de recul et compris que ce village avait du talent. Par-dessus les toits,  son église médiévale s’amuse à coiffer l’unique rue principale. Chance, un employé municipal aussi inattendu que zélé en propose la visite avant qu’on ait pu l’envisager. C’est bon,  par une chaude après-midi et à l’improviste, d’en ressentir la fraîcheur, d’imaginer son histoire et d’écouter le message de ses pierres. On n’en demandait pas autant.

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Pour le retour on retrouve le cours amont de la Vionne. Dans la monotonie du plateau, elle a creusé un tunnel de verdure. Au bassin de Vivier le Comte, elle cohabite avec une étendue lacustre. Un chemin, à moitié effacé dans l’herbe, suit le cours de la rivière. Des églantiers, des bouleaux et des saules peuplent ses rives. Elles exhalent une odeur particulière dont l’origine peut tout aussi bien provenir du substrat argileux que des feuilles jaunies déjà à terre. Un cycliste s’est un peu embourbé dans des ornières. Solidaire, le groupe s’efface pour lui ouvrir la voie.

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Le terme de la balade se situe dans une période calendaire très favorable, celle qui file vers le bistro. Cette belle perspective donne l’élan supplémentaire pour faire un demi-kilomètre de plus vers le seul établissement ouvert de Chars. Le cafetier, sans dire le moindre mot laisse entrer et s’asseoir ces visiteurs de l’heure du goûter. En fait,  il avance masqué. Surprise de taille, au-delà de sept, lui compris, il refuse de servir. Pas la moindre exception, même pour des clients dûment hydro alcoolisés, distanciés et ….assoiffés. Il ne reste plus qu’à se lever et réajuster sur son nez le masque qu’on avait accroché temporairement à l’oreille. La mousse devra attendre !

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Le Parcours

Chars(95750), panama, le moulin de Noisemont, Brignancourt, le haut de Bray, le bois de brisemont, le château de Saint-Cyr, Romesnil, Lavilletertre, l’étang de Vivier le Comte, la cavée, Chars.

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