Touchez pas au compteur

Publié le par club rando

C’est un service qui coûte cher. Guidés par une intention charitable, Jacques et Martine avaient la semaine précédente offert leur aide à une personne de leur entourage, diagnostiquée par la suite «covid positif». Considérés comme «cas-contacts», ils ont dû se résoudre à observer une période de sept jours de maintien forcé à la maison. Traversant le miroir, c’est donc de leur domicile que le couple a passé le relais, transmettant les moindres détails et petits secrets de la balade qu’il avait proposé de conduire.

Sur le parking attenant au musée d’archéologie de Guiry-en-Vexin, il soufflait un petit vent d’incertitude qui pouvait éveiller certaines craintes parmi les 12 randonneurs présents.

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Les premières bien évidemment portaient sur le remplacement des deux grands experts en sorties valdoisiennes. D’autres, plus diffuses, sondaient l’avenir. Va- t-on passer sans encombre les effets d’une nouvelle vague qui accentueraient les restrictions et les renoncements déjà constatés ?  Enfin une inquiétude plus concrète interrogeait l’immédiat. Le tambourinement répétitif des gouttes de pluie qui s’écrasaient de bon matin sur le pare-brise annoncerait-il une journée à la coloration gris mouillé ?

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Mais il n’est pas dans l’habitude des marcheurs d’être gagnés par le doute. Des bouffées d’air pur et le rythme cardiaque qui s’accélère au départ de la première boucle en direction de Gadancourt vont servir d’antidote. Sans faire le mariole et en respectant toutes les convenances «covidiennes», le groupe s’est résolument placé sur le bon pied. Certes la prudence s’impose mais sur les chemins, la vie continue. ll n’y a pour l’heure que les bars qui soient fermés, pas l’optimisme ! D’ailleurs, la pluie redoutée semble avoir renoncé. Elle réservera son venin à des contrées plus lointaines.

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Une piste cavalière double le joli chemin vicinal où la circulation se fait rare. Juché sur la cime du premier toit du village d’Avernes, un mystérieux ralliement de corneilles semble attendre l’arrivée d’un cortège funèbre. Trompeuse illusion, la localité est bien loin d’avoir revêtu son costume de deuil. Plutôt avenante, elle s’ordonne dans un quadrillage de ruelles au sein desquelles de veilles maisons patinées par le temps voisinent avec des villas plus contemporaines. Mais c’est le grain fin et dur de l’habitat, provenant des pierres extraites de carrières voisines, qui donne l’unité.

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Curiosité au cœur du village, un tissu de promenades herbacées borde de minuscules canaux au cachet vénitien. En 1961, l’écrivain et journaliste Joseph Kessel trouve ici une maison pour fuir Paris. Il acquiert une longue bâtisse avec de profondes cheminées et des poutres séculaires au plafond. «Habitué aux marbres des journaux, il s’y refugie à l’abri de ses moellons en calcaire». Peu casanier, ce fut le seul domicile fixe de sa vie de bohème. Vingt ans plus tard, il y décède à l’âge de 81 ans, victime d’une rupture d’anévrisme.

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Pour saluer sa mémoire, un voisin complaisant a la gentillesse de fournir l’adresse recherchée. L’homme est en train de tailler sa haie extérieure avec autant de virtuosité que le plus expert des coiffeurs. Mais ce qui retient davantage l’attention, c’est le panneau affiché sur le mur de soutènement. «On ne touche pas à mon compteur». Le message, clair et viril, souligne à la fois un immobilisme et une intimidation sans ambiguïté. Cette déclaration de guerre à une tentative de substitution vise le modèle «Linky». On devine que la sympathie apparente de ce figaro du monde végétal peut vite se transformer en mauvaise humeur belliqueuse. De toute façon, on n’envisageait pas de toucher à son compteur électrique, encore moins de le convaincre d’en changer.

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La grisaille matinale s’est totalement dissipée. Le ciel tente déjà des ouvertures. C’est finalement une chance que ce trajet originellement prévu au printemps ait été reporté en octobre car le chemin qui remonte vers Wy-dit-Joli-Village offre un incomparable moment d’éveil à la nature, une révision de la palette complète du paysage automnal. Les feuillages tirant vers le blond diffusent une lumière confuse qui mélange contre-jour et clarté. La montée d’un coteau débouche sur une prairie où perlent encore des gouttelettes  matinales.

Après une haie d’églantiers, le chemin s’enfonce dans une futaie plus épaisse. On essaye de ne pas trop écraser les bogues des châtaignes qui reposent sur leurs épines. Elles enserrent leur fruit dans une ultime tentative de protection. Difficile de résister à l’envie d’en ramasser pour caresser entre les doigts leur peau brillante comme une laque de chine. Que cette campagne est belle aux lueurs de l’automne !  Certes on a la sensation de ne pas avoir déniché des merveilles, juste l’impression d’ouvrir les yeux sur de jolis endroits si proches qu’on aurait facilement ignorés.

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Après le passage obligé par Guiry, l’entame de la deuxième boucle sonne l’heure du déjeuner. Le soleil de plus en plus complice inciterait presque à le prendre en terrasses. On sait que le Ministre de la Santé a prévenu qu’elles étaient en sursis, qu’il était même dangereux d’y céder à l’envie de l’apéro. Mais dans ce coin du Vexin, il y a belle lurette que les terrasses ont disparu. On se contentera du parvis accueillant de l’église de Cléry et le «dernier pour la route» ne sera tiré que de la thermos de café. En rando, le pique-nique reste un instant sacralisé, un complément indispensable à la marche, un moment où l’on se sent bien, où l'on convoque le passé et…où l’on oublie le virus.

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Séparant les villages de Cléry et Guiry, le bois de Morval s’est installé dans l’incise du vallon de l’Aubette en colonisant le fond et les parois. Il abrite un remarquable site, l’Allée couverte du Bois Couturier, sépulture collective du troisième millénaire avant notre ère. Y furent découverts les ossements de deux-cents personnes, protégés depuis le néolithique par ce tombeau de dalles. On ne sait pas grand-chose de leur destin. Devant la tombe maintenant vide, on ne peut souhaiter que ces ancêtres aient reçu une aide attentive pour leur fermer les yeux.

Le bois possède aussi un espace de nonchalance, repérable par de nombreuses tables en bois posées sur une immense prairie piquetée de noyers. C’est la pleine saison de la récolte, des milliers de fruits gisent au sol. Énormes, magnifiques, on dirait que les noix du commerce ne sont que le brouillon de leur perfection. Elles s’offrent à l’appétit des randonneurs prêts à s’en délecter ou à les collecter. Chacun se livre à l’assouvissement de ses envies. Il faudra du temps avant que la troupe ne se remette en marche.

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Pour retrouver le parking d’arrivée, la légèreté est dans les pas. Il suffit de se laisser glisser dans des prairies humides que le soleil a reverdies de nuances d’absinthe  et d’amande.

 

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Pratiquement inconnu du public, et en plus gratuit, l’étonnant musée dit d’archéologie de Guiry est remarquable. Il met en perspective l’évolution de la terre et l’histoire de l’humanité car il parle aussi d’anthropologie et de géologie. On trouve dans l’étude du passé des bonnes raisons de l’admirer. Le musée aide le visiteur à prendre conscience que l’ère actuelle ne représente qu’une poussière dans l’échelle du temps. Et pourtant dans le comparatif des époques, l’intérêt qu’on lui porte est inversement proportionnel à sa durée. Là aussi, il faudrait commencer à modifier le compteur.

Attention, on a appris que ce message aura du mal à passer !

 Touchez pas au compteur

Le parcours

Vendredi 9 octobre 2020

Le trajet propose, à partir de Guiry-en-Vexin, un enchainement de deux boucles consécutives dessinant un tracé en forme de huit

- La boucle sud qui rejoint Avernes (retour par Wi-dit-joli-village)  Guiry, Gadancourt, l’allée cavalière, Avernes, les quatre chemins,  chemin des Boissières, Wy-dit-Joli-Village, la source de Saint Romain, Guiry

- La boucle nord qui traverse Cléry-en-Vexin (en passant par le bois de Morval) Guiry,  chemin de bordure oriental du Bois Couturier, Cléry-en-Vexin, le Fief  Chopin, le bois de Morval, l’allée couverte, l’aire de la Garenne, Guiry

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