La trêve des confineurs

Publié le par club rando

En 2020, les anniversaires se sont joués sur des coups de dés. Côté veine, les randonneurs nés pendant les tous premiers mois de l’année ont pu recevoir leurs amis autour d’une bonne table sans bien prendre trop le temps de s’interroger sur cet étrange virus venu d’ailleurs. Côté guigne, le confinement a très vite douché l’envie de réjouissances de ceux nés pendant le printemps. Drôle d’anniversaire, car à la place de la fête prévue, ils se sont contentés d’une pizza décongelée à mâchonner devant les écrans de BFM tv. Pour tous, programme unique : une succession de journées vides qui s’étirent, aussi interminables que des nuits sans sommeil. Juste avant l’été, coup de théâtre, le patient zéro échappe à la vue de tous les radars. Pour ceux qui ont eu la bonne idée de venir au monde en période estivale, revoilà la fiesta. Ils peuvent apprécier la douceur du déconfinement, rallumer les bougies sur le gâteau et pensent même poser le début d’année sur le haut de l’armoire. Patatras, changement brutal de régime pour les natifs du dernier trimestre. En guise de festin, c’est le retour de la soupe à la grimace. Le confinement s’impose à nouveau car le virus s’engouffre par portes et fenêtres. Ils doivent remettre les masques sur le nez et la fête aux calendes grecques. Pas de passe-droit, on oublie les sentiers et tout le monde peste chez lui en soupirant dans sa cuisine de ne pouvoir admirer le ciel éclatant que derrière les carreaux. Coup de chance inespéré, face à la difficulté de garder sous cloche des millions de désespérés, une levée progressive des mesures restrictives vient d’être prononcée pour la fin de l’année. Elle ouvre une trêve dans le confinement et autorise, suprême bonté, la reprise des sorties collectives.

La trêve des confineurs

Déjà beaucoup de randonneurs, branchés en continu sur des informations pas toujours reluisantes, avaient malheureusement lâché l’affaire. Restaient douze irréductibles qui attendaient avidement la permission de recoller légalement au terrain. Miracle anticipé de Noël, cette escapade est annoncée pour le 18 décembre. Elle arrive, parée de son plus bel avantage. Après un chapelet de dépressions, ce vendredi de reprise a senti le vent tourner. Il s’accompagnera d’un soleil survitaminé qui se croit encore en été. A propos, si Pâques fut en prison, doit-on espérer un Noël au balcon ?  Encore convient-il de mesurer la portée de cette expression. Et si, pour la soirée du  réveillon, la puissance publique se mettait en tête de reprendre ce dicton à son compte ?

La trêve des confineurs

Juste à l’écart de Mériel, c’est dans son fief que Christian a demandé de le rejoindre. Il est devenu familier de l’espace forestier de l’Isle-Adam. Sans jamais avoir l’impudeur de le brusquer. La lenteur, ce luxe abordable, lui a permis d’en connaître l’ampleur et les différences, de s’attarder devant les nuances de ses couleurs. Il n’oublie jamais d’y lever la tête pour interroger les oies bernaches qui lui livrent les derniers potins de l’Oural. Dans cette forêt, il a appris à marcher seul sans se soucier de la fatigue ou des distances parcourues. Durant ces séances en solo, c’est surtout dans sa tête que les kilomètres défilent.

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Dans cette phase 4 du feuilleton de l’année, Christian a éliminé le moindre risque en cantonnant son projet dans la plus sûre des chambres stériles qu’il connaisse. Son parcours consistera à claquemurer entièrement ses invités sous la voûte formée par la canopée de la forêt. En ligne, c’est ainsi qu’avancent les douze marcheurs, non pas sur le support d’ordinateurs portables mais bien sur la petite route qui même vers l’Abbaye du Val à l’orée du bois. Pas question de postillonner ou se remettre à tousser, les participants ont accepté les règles sanitaires en cours. Masque accroché sur les oreilles et partition en deux sizaines. Même dans cette forme inédite, les échanges verbaux restent cependant de mise, comme un petit plaisir dérobé aux convenances de l’avancée collective. Convention nouvelle ou pas, personne n’envisage de réfréner la satisfaction de marcher au rythme de ses mots. Le masque n’essaye même pas de les bâillonner.

La trêve des confineurs
les deux sizaines

les deux sizaines

De hauts murs protègent le domaine de l’Abbaye du Val que l’on distingue mal en contrebas. Au douzième siècle, un seigneur local donna des terres à une poignée de moines cisterciens, membres d’une branche réformée des Bénédictins. Sous leurs efforts, l’établissement, d’abord rudimentaire, prospère et prend sa forme actuelle après la guerre de Cent Ans. Il tombe dans le domaine privé après la Révolution, subit des fortunes diverses et serait pour l’heure abandonné et proposé à la vente. L’endroit glacial en plein hiver, habité en permanence par le silence, n’a pourtant rien d’austère. Même à ceux qui pensent que le ciel est vide, Hubert se risque à l’exégèse de la règle de Saint Benoit qui organise depuis plus de quinze siècles l’activité monacale. Il précise qu’elle recèle des trésors de management qui inspirent encore de nos jours de nombreuses entreprises.

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La lisière supérieure des arbres a colonisé la corniche qui domine la zone humide des Marais de Stors. Au plus près du vide, un joli chemin en encorbellement s’est improvisé belvédère naturel. Sur ce balcon, le soleil, qui s’est levé ce matin bourré d’énergie, s’amuse à créer des contre-jours en rebord de pente. Les rais de lumière qui transpercent les branches indiquent la direction à suivre pour rejoindre le cœur de l’espace forestier.

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Pourtant éloigné de l’abbaye, il se dégage de l’endroit une atmosphère mystique, diffusée principalement par la hauteur des chênes-cathédrale dont certains dépassent les vingt mètres. De longues pistes rectilignes autorisent de se promener nez en l’air pour observer ces géants. Plus on progresse, plus la forêt se drape dans son élégance.

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Un petit chemin de lapins la traverse en biais. Il pénètre dans l’intime. Parfois la forêt donne l’impression de mener sa vie dans son coin, parfois elle entreprend de se rapprocher du visiteur, essaye d’en faire un complice. L’heure tourne, on a pris du retard, il faut rejoindre Villiers-Adam puis retrouver Mériel. Pas  très grave, profiter d’un beau paysage et prendre le temps de l’apprécier restent l’essentiel. Ensuite, tout peut s’arranger !

La trêve des confineurs

Les yeux brillants et la parole mesurée, Christian savoure d’avoir partagé avec ses compagnons une part de sa richesse, celle d’une zone de solitude qui vous accueille en ami sans demander qui vous êtes, celle d’un espace où l’on se ressource. Il espère la léguer à ses petits-enfants. Tant qu’il y aura des buttes et des faux plats, des forêts pour témoigner de l’ordinaire du monde, des crapauds qui entament un concert aquatique, rien ne sera vraiment perdu !

La trêve des confineurs

Le Parcours

Vendredi 18 décembre 2020

Mériel(95630), le cimetière, Abbaye du Val, le coteau de l’étang, les carrières, le carrefour Capitaine, le carrefour Parade,  les communes, le bas de Villiers-Adam, les cheminées, Mériel

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M
Bravo, c'est bien de donner l'exemple et de se protéger comme vous le faites. Prenez bien soin de vous.
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