Le goût des autres

Publié le par club rando

Une réception bien agréable !..Arrivés les premiers au parking du complexe sportif d’Orgeval, Jacques et Martine avaient pris soin d’accorder aux seize autres compagnons venus les rejoindre un accueil d’autant plus chaleureux que forcément distant. Tant de douceur verbale donna un instant l’illusion absurde d’être revenu dans la vie d’avant,  celle où poignées de mains et embrassades paraissaient gestes décents. Mais chacun était parfaitement conscient qu’il faudrait encore du temps pour revenir à ces pratiques éloignées et que derrière les masques étincellent aussi des sourires qui ne se voient pas. L’essentiel était de se retrouver pour cette première sortie de l’année afin de profiter d’un grand bol de nature dont on attendait au moins qu’il soit barrière aux attaques sournoises du virus redouté.

Le goût des autres

Mais le retour à la normalité s’exerce toujours avec une prudence de Sioux. La prévention a saisi l’autorité de tutelle qui n’autorise la pratique pédestre que sous le régime du groupe de six. Tant pis pour les ronchons ou les contradicteurs, le respect de la parole officielle fera l’unanimité, la question n’étant pas d’occulter le risque mais de le mesurer.

les groupes se forment

les groupes se forment

Le goût des autres
Le goût des autres

Le centre d’Orgeval s’est prudemment mis à distance suffisante de sa périphérie où une myriade de panneaux publicitaires, d’enseignes de grande marque et de concessions automobiles déploie un envahissement commercial à faire fuir tout coureur de bois. La localité d’origine s’est bâtie à l’abri de la forêt qui du plateau des Alluets descend mordre les premières maisons. Sans doute pour mieux se consacrer à la célébration de sa beauté, des moines puis les villageois ont tenu à préserver cet héritage. Encore de nos jours, beaucoup de chemins relient le village à l’espace forestier.

Le goût des autres

Sa haute silhouette et ses grandes enjambées lui donnent parfois l’allure hiératique du célèbre homme-qui-marche de Modigliani. Assommé par toutes les diatribes covidiennes qui opposent les «trop tard» aux «trop tôt», Francis a coupé le son aux média qui ne répandent du matin au soir au mieux que des incertitudes. Il dit bien qu’il faudra attendre en puisant dans la patience et qu’il y eut jadis bien pire à supporter. S’il traverse dans les clous, respecte les distances chez le boulanger, se lave dix fois les mains et ne brave pas les nouvelles interdictions horaires, il se méfie comme de la peste des prédictions sur l’inflation inquiétante des chiffres à venir. Ce matin, sous un soleil miraculeusement revenu, la seule accélération qui l’intéresse est celle de son rythme cardiaque. Dans le joli chemin creux qui monte vers les hauts d’Orgeval, Francis sait déjà que, grâce à son effort volontaire, la ventilation pulmonaire va autant lui nettoyer les bronches que lui remettre les idées à l’endroit. Il attend que cette marche matinale l’aide à regarder plus loin que ses pas et réduise au passage quelques douleurs brinquebalantes causées par les petites vicissitudes de l’âge.

Le goût des autres

Dans un coude de la route vicinale qui conduit vers Feucherolles, il ne faut pas rater le petit chemin gazonné qui part sur la droite. Il surplombe un joli morceau de campagne égaré dans les bois. Au bout d’un kilomètre de vagabondage, il s’arrête dans une indifférence totale devant une magnifique propriété. Alain, le local de l’étape, en révèle l’histoire. A la fin du dix-neuvième siècle, les frères Chartier, modestes bouchers d’Orgeval, partirent à Paris créer les fameux restaurants «Bouillons Chartier». Fortune faite, ils revinrent au village natal en 1920 pour y bâtir un hôtel de luxe nommé «le Moulin». Il en reste un endroit délicieux où l’on aurait bien aimé se confiner si ce n’est que l’etablissement présente aujourd’hui porte close. Le parc est désert, il n’y a plus âme qui vive. Emporté par la vague de fermeture nationale, le bras de l’Etat vient de le contraindre à rentrer dans le rang.

Le goût des autres

Une jolie lumière ajoute sa complaisance au cœur de la forêt. Le promeneur attentif peut constater que les arbres y sont disciplinés. Ils courent vers le ciel en essayant de ne pas trop se chamailler. On croit à tort que la forêt est un ensemble homogène bourré d’individus identiques mille fois multipliés. Tout près de l’endroit où siégeait autrefois l’Abbaye d’Abbecourt, les randonneurs perçoivent aisément qu’un compagnonnage de bouleaux zébrés, de hêtres rectilignes et de chênes altiers vit en bonne intelligence, chaque essence cherchant seulement à assurer la survie de sa famille.

Le goût des autres

C’est surtout lorsque la pente s’élève qu’il est facile d’admirer les diverses espèces, de s’apercevoir qu’elles tirent leur puissance de l’immobilité, du temps, de l’humus et de la lumière. Dans une telle ambiance, la légèreté devrait être dans  les pas. Mais ceux-ci s’alourdissent un peu trop vite dans la terre noire du chemin boueux en fond de vallon.

Le goût des autres

Combien sont-ils celles ou ceux en 2020 qui ont dû grossir, via internet, les rangs des sportifs à domicile, qui se sont essayés en solitaire à relancer la machine. La lassitude l’a vite emporté et le deuxième confinement leur a scié les jambes et mis le moral à plat. Aussi dans la descente du chemin du Poux qui file sur Orgeval, quelques participantes avouent qu’elles en avaient soupé de ces journées sans sortie et de la langueur des soirées. Elles ne rêvaient que de briser l’isolement, de peiner ensemble dans les montées, d’oser la gaité et de retrouver le goût des autres. Qu’elle est donc bienvenue cette matinée de reprise à la vie commune, à respirer enfin l’air frais, sac sur l’épaule !

Le goût des autres

C’est à 13 heures, pile à l’heure dite que se termine la balade. Le bleu du ciel prend déjà la pente qui le conduira aux pâleurs du crépuscule. Michel, Christian et Hubert font route commune. S’installent bien vite des conversations animées, reviennent les anecdotes qui les lient. Du passé, ils n’ont retenu que le meilleur. Ils se sentent bien ensemble et aimeraient que le temps s’arrête un court instant. Alfred de Musset avait raison «Un souvenir heureux est peut-être plus vrai que le bonheur !»

Le goût des autres

Le parcours

Vendredi 22 janvier. Le complexe sportif Saint-Marc d’Orgeval (78630),  le chemin du ru, les hauts d’Orgeval,  le Moulin, le tour du bois du gros chêne,  le chemin du plateau,  la ferme de Beauregard, le bois de Saint-Marc, le chemin du poux, colombet, le plateau Saint-Marc

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