L'illustre méconnu

Publié le par club rando

Il existe un important patrimoine que les curieux ou les férus d’histoire essayent en vain de visiter. Après la défaite de 1870 et à la demande de Thiers, le général Raymond Séré de Rivières redéfinit un système gigantesque de défenses militaires pour assurer la sécurité du territoire. Il construisit plus de 400 ouvrages sur les frontières et sur une seconde ceinture de Paris. Ces forteresses présentent l’originalité d’être le plus souvent tapies au sol, comme un félin qui cherche à s’enterrer au plus profond dans l’attente du passage de sa proie. Pourtant toutes ces fortifications ne servirent à rien et ces épaisses murailles ne purent contenir le conflit à venir. Marquées par le remord, elles sombrèrent petit à petit dans l’oubli et restent toujours proscrites. La forte personnalité de Raymond Séré de Rivières, qui fut le Vauban du dix-neuvième siècle, causa sa perte. Il fut évincé puis limogé en 1880. Pire, l’Histoire le classa dans la rubrique où l’on ne voudrait croiser personne, celle des illustres méconnus. Le temps a passé et avec lui celui des juges qui se complaisent dans la critique. Ne serait-ce que pour sa contribution à l’important héritage national laissé, toute occasion est bonne de rendre à l’oublié sa place et son nom.

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Le fort de Saint-Cyr est l'un de ses ouvrages les plus importants et les mieux conservés. Contrairement à son patronyme abusif, il fut édifié sur une parcelle de Bois-d’Arcy rétrocédée récemment à la ville de Montigny-le-Bretonneux. Située à l’est du plateau de Trappes, l’enceinte accueillait plus de 1400 soldats et était défendue par 90 pièces d’artillerie. Devant le faux pont-levis gardant jalousement l’entrée du fort, évoquer son passé ajoute une petite teinte de confidentialité et de respect.

les deux promos de Saint-Cyriens

les deux promos de Saint-Cyriens

L'illustre méconnu

En préambule de la sortie de ce jour, apprendre qui était le Général Séré de Rivières donne au moins de la consistance au bâtiment qui se devine au fond. La forteresse désarmée ne se réveillera pas de son long sommeil. Déclassée d’abord en dépôt d’armement, elle abrite désormais les fonds d’archives photographiques du Ministère de la Culture. Ironie du destin, clé positive d’une stratégie militaire, le fort de Saint-Cyr ne veille plus que sur des épreuves négatives.

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Pas possible d’aller plus loin, ce n’était d’ailleurs qu’une mise en bouche culturelle. C’est en fait juste à côté, à la base de loisirs de Saint-Quentin-en-Yvelines, que les quatorze randonneurs ont décidé de ranimer leur envie de nature. Dans une enclave préservée, le site réussit à occulter l’envers du décor, un triste chapelet de barres d’immeubles qui métastase sur une vingtaine de kilomètres la R.N.10 filant vers la province. Passer un bon moment en famille ou entre amis, s’échapper de la pression urbaine, observer la migration des oiseaux sans frontières prend ici tout son sens. Pour qui pénètre dans la base, le premier saisissement vient du lac qui occupe la majeure partie de l’espace. Il paraît modeste, d’un bleu doux, cherchant à ne pas faire d'éclat. On le devine un peu réservé, donnant à chacun l’impression d’être l’explorateur qui vient de le découvrir.

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L’image est trompeuse, d’une candeur excessive. Sous l’ombrelle généreuse de pins noirs pluricentenaires, la vieille digue empierrée qui contient l’étendue trahit la noblesse de son origine. La course à l’eau pour l’approvisionnement des jardins de Versailles amena Louis XIV à concevoir de nombreux bassins de captage. En 1675, un topographe, l’Abbé Picard remarque que les mares nombreuses du secteur des «Bretonneux» (marécages) situées sur le plateau de Trappes sont plus hautes que le niveau de Versailles. Unifiées, les mares donnent naissance à l’étang qui alimente un aqueduc souterrain dirigeant le flux jusqu’aux réservoirs Colbert construits près du Parc-aux-Cerfs de Versailles (maintenant quartier Saint-Louis). Près des rives se tenait une chapelle qui aurait conservé les reliques de Saint-Quentin. C’est elle qui donnera son nom à l’étang puis au territoire.

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Le vélociste qui vient rapidement de dépasser la première des deux sixaines du groupe manque de déraper dans un tournant du sentier ceinturant la base. Tout surpris de la traîtrise de la piste, il se rattrape de justesse puis décide de mettre pédale douce avant d’aborder un secteur plus boueux. Dans sa hâte, a-t-il pris le temps de remarquer que des jeunes arbres poudrés par une couche blanche de fleurs tout juste sorties pourraient indiquer l’arrêt des frimas ? Tout bon marcheur le sait, la lenteur du pas offre du temps allongé, celui qui surprend les choses. Les visiteurs s’enfoncent maintenant dans la partie la plus intacte de la base. Elle a gardé le mieux son jus de campagne.

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 Ils apprécient d’abandonner pour cette matinée le monde des procureurs médiatiques toujours alarmistes sur les conséquences de l’épidémie, de trouver en cette sortie une échappatoire où ne résonne que l’écho du dehors. Les quelques rares promeneurs croisés en route semblent du même avis. Sur une aire de pique-nique, certains partagent à distance raisonnable une thermos de café. Ils restent à discuter longtemps, habitude prise peut être depuis que les bistrots sont fermés  

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Vers la moitié du parcours, le lac a écorné la rive d’une pointe triangulaire. Cette extension est sa partie la moins aménagée, la plus instable, celle qui porterait le mieux les traits de ce que fut le paysage d’origine. Posée sur une souche à demi immergée, une aigrette émet de petits cris enroués pour solliciter quelques instants d’attention. Indifférents à sa demande, deux cygnes s’éloignent avec componction. Leur départ majestueux rappelle la sortie solennelle d’un vaisseau amiral devant gagner le grand large. De cette ample flaque mangée de roselières émerge par surprise une escouade de poules d’eau préparant sa prochaine plongée. Cette clairière aquatique se prolonge parfois dans la terre ferme par de minuscules chenaux où patrouillent des touffes de roseaux peu enclins à céder leur place. Se perçoit de l’endroit la sensation d’une beauté délaissée.

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Un peu plus loin, la piste quitte sans déplaisir la limite du Golf National de Saint-Quentin où le décor un peu surfait impose la monotonie de l’herbe rase.

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Dans une hêtraie classée en réserve naturelle, un soleil complice diffuse au sol une alternance de rayures sombres et lumineuses. On prend conscience de l’avantage principal du lieu, son silence. La ville si proche demeure invisible. On sait qu’au profond de chaque arbre coule sans bruit le sang de la semence. La nature rappelle de ne pas être trop impatient, les beaux jours immanquablement finissent par revenir.

Mais rien n’est plus fragile que le beau temps. Des nuages menaçants venus par l’ouest sont annoncés d’ici peu. Pour l’instant dans  la montée finale qui rattrape la butte de Bois-d’Arcy  les rayons d’un soleil encore généreux renforcent le sentiment de bien-être et d’unité. On a presque l’envie de se rapprocher de son voisin et lui déclamer des vers qui auraient peut-être plu à Jacques Charpentreau, un autre illustre poète méconnu.

"Dans une boîte je rapporte---De l’air frais de ma sortie---Couvrez-vous je vous en prie---Je l’ouvre, fermez bien la porte"

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Le Parcours

Vendredi 12 mars : Le fort de Saint-Cyr à Montigny-le-Bretonneux (78180), rue J.P Tiimbaud, rue des Louviers, Entrée par la porte de la Digue, le tour de la base de loisirs de Saint-Quentin-en-Yvelines par la digue et la réserve naturelle, sortie par le chemin du Poirier rouge,  traversée des jardins ouvriers, la route du Fort de Saint-Cyr.

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