"S'Gilt" !

Publié le par club rando

S’Gilt est une locution interjective qui accompagne le bruit de verres qui s’entrechoquent. Equivalente de l’expression A votre santé, on ne la prononce que pour trinquer. Quand vous l’entendez, vous devinez déjà que convivialité, bonne humeur et bretzels vont participer à la fête. Vous savez que vous êtes en Alsace.

Le GR 53, passeport en poche, commence son voyage à partir de la frontière de la Rhénanie-Palatinat pour s’en aller roder bien vite dans la partie la plus septentrionale du massif vosgien. Le suivre de Wissembourg, son début, jusqu’à Saverne, est déjà une belle manière de couper avec la routine du familier. Il va s’efforcer de donner du bien-être aux huit marcheurs qui l’emprunteront une semaine sur la partie sans doute la moins connue du Bas-Rhin. Ce genre de sortie, un peu plus exigeante, ouvre habituellement la période d’été. Ne faire que passer, reconnaître que c’est parfois un peu dur, mais continuer tout de même en se disant chaque jour que le mieux reste à venir. Au fil des ans, les corps s’émoussent mais l’attrait de l’itinérance demeure. 

"S'Gilt" !

Des pentes noires d’une ligne de crêtes structurent la direction du couchant. Si on interroge un touriste à Wissembourg sur la dénomination de ce massif qui domine la ville, il répondra probablement «Les Vosges». Géographiquement celles-ci s’arrêtent plus au sud, au seuil de Saverne. Pourtant, ces moyennes montagnes sont bien là et se poursuivent outre-Rhin. Elles se nomment tour à tour «Vosges du Nord» en France puis «Forêt Palatine» en Allemagne. Cette zone transfrontalière avait jadis une unité et une appellation, la «Vasgovie». Ce territoire de petites montagnes fut ballotté entre conflits, prises de pouvoir et périodes de paix vite dénoncées. Des Celtes aux Révolutionnaires, en passant par le Saint-Empire romain germanique jusqu’aux Bavarois, l’histoire composa et décomposa l’ensemble. Mais, peut-on vraiment croire que ces petites montagnes et surtout leurs habitants se définissent comme Vosgiens ?  L’usage d’un mot cache souvent des réalités différentes. Il suffit simplement de lire les toponymes, regarder les plaques minéralogiques et écouter les gens parler pour comprendre immédiatement qu’il n’y a qu’une seule appartenance. Ici tout s’affirme d’abord Alsacien.

"S'Gilt" !

Les autochtones se sentent liés à la nature. Le Club Vosgien qui devrait plutôt s’appeler le Club Alsacien rassemble une majorité des volontaires qui entretient des milliers de kilomètres de chemin. Son système de balisage, reposant sur une utilisation de signes géométriques déclinée en quatre couleurs, est autant remarquable qu’hégémonique. Même le GR passe sous ses fourches caudines. Son existence est simplement renseignée, sa signalétique proscrite.

"S'Gilt" !

Avec une telle abondance d’indications, celui qui veut se perdre doit vraiment s’en donner les moyens. Les randonneurs locaux raffolent des grandes tables. Au Col du  Pigeonnier au-dessus de Climbach, un groupe local conclut sa marche par une grillade collective. Il invite à le rejoindre, mais aux conditions d’usage : bien terminer son assiette, ne pas mégoter sur le bock de «Météor» et communier au rite du «S’Gilt» !

"S'Gilt" !

Le parc naturel des Vosges du Nord, puisqu’il faut quand même le dénommer ainsi, couvre la  totalité de la zone choisie pour l’itinérance. Il la fractionne en deux entités pas vraiment égales, la forêt, omnipotente, et sa lisière rurale. Ce massif curieux se découvre par séquences successives dont la continuité ne saute pas directement aux yeux. Dans les bois, la végétation referme les fonds et boutonne l’issue. Les futaies descendent jusqu’au pied des coteaux. Il faut donc faire salon sous les frondaisons avant que ne se discerne la ligne de fuite.

"S'Gilt" !

Quelquefois au bout d’une montée, le paysage s’ouvre sur une rare clairière qui semble en apesanteur au-dessus des boisements. Des papillons à casaque mauve orangé viennent y partager les moments d’une pause. Perchés effrontément sur les genoux de leurs hôtes du jour, ils n’ont d’yeux que pour le calice violine des digitales dont dépend en partie leur survie.

"S'Gilt" !

Dans ce dédale forestier, des ruines moyenâgeuses se découvrent au dernier moment. Posées sur des pitons de grès rouge, on les atteint par des escaliers souvent creusés dans la roche. Les châteaux de Windstein, Fleckenstein, Petit-Arnsbourg furent autrefois des lieux de défense. Dans ces restes verticaux, blocs pierreux et convulsion géologique semblent s’être mélangés intimement, créant sous l’action du temps et de l’érosion une sorte de sculpture fantasmagorique.

"S'Gilt" !

Toutes ces antiques forteresses ne jouent plus aujourd’hui qu’un rôle de belvédère où la vision se réduit à l’ambiance calfeutrée des sapinières avoisinantes. Tournoyant dans le ciel, des éperviers attendent vainement qu’elles s’écroulent sur elles-mêmes.

"S'Gilt" !

Au sortir de la forêt, la base de ces Petites Vosges assure la transition avec la grande plaine alsacienne. Vergers ou potagers en premier plan, des villages-rues s’allongent au pied de cette arête régulière. D’Oberbronn à Rothbach, d’Ernolsheim à Eckartswiller, la grande perspective offerte jusqu’à la Forêt-Noire allemande les rend solidaires. Mais qu’elle soit du piémont ou du massif boisé, chaque localité est bichonnée par ses occupants. Les Alsaciens vénèrent leur maison et leur village. Du potager à la voiture, tout doit être net, propre, fleuri et bien entretenu. Dans cette contrée, la présence allemande persiste. Elle apprécie d’y trouver une petite pointe de sud. Des contacts avec les hôtes apprennent que les locaux rendent aussi visite à leurs voisins, pas pour s’enivrer d’opéras wagnériens mais pour acquérir denrées et produits à meilleur prix. S’ils sont économes, les Alsaciens sont avant tout généreux, toujours prêts à renseigner, aider ou abreuver le moindre marcheur assoiffé. Avec des bavardages complices ou des propositions de boissons désaltérantes, ce ne sont plus des promeneurs de passage qu’ils accueillent mais des invités. On a parfois envie d’en profiter, de s’engouffrer dans la porte entrouverte pour prolonger l’échange.

"S'Gilt" !

La terrasse de l’hôtel de Saint-Jean-Saverne sera le témoin du bilan de la semaine. Le groupe était parti pour retrouver les anciennes habitudes de son petit jardin secret qu’il souhaiterait conserver éternellement. Vient le moment un peu redouté de confronter les images des souvenirs à la réalité du présent. Finalement, le temps qui passe ne s’est pas montré trop cruel. Rien, pendant ce séjour, n’est vraiment venu chahuter les repères connus. Une seule ombre a alourdi le tableau. L’absence regrettée d’un fidèle compagnon, retenu malgré lui à la maison.

La bière fraîche vient juste d’être servie. Un petit bonheur simple, plus intense que la soif. Comme par magie, le liquide écumeux va plonger l’assemblée dans la satisfaction heureuse de l’instant présent. Toute inquiétude s’envole. Il faut préserver ce bon présage. La méthode est connue : lever sa chope et prononcer l’incantation de circonstance  «S’Gilt» !

"S'Gilt" !

Parcours itinérant dans les Vosges du Nord (et alsaciennes)

Mardi 28 juin : Transfert à Wissembourg (67160) Circuit transfrontalier de Schwegein

Mercredi 29 juin :  Lembach par le col du Pigeonnier et Climbach

Jeudi 30 juin :  Obersteinbach par le château de Fleckenstein et Niedersteinbach

Vendredi 1° juillet :  Oberbronn par le château de Windstein et Niederbronn

Samedi 2 juillet : Lichtenberg par Rothbach et le sceaenzel

Dimanche 3 juillet : La Petite Pierre par Wimenau et Ochenstall

Lundi 4 juillet : St-Jean-Saverne par Loostal, Hunebourg et Ernolsheim

Mardi 5 juillet : Saverne  Transfert à Paris via Metz

 

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