Une note discrète de vétiver

Publié le par club rando

Depuis longtemps, les édiles programmaient sa réalisation. Un port de plaisance sur les bords de l’Oise devait compléter les atouts de la localité de l’Isle-Adam qui jouissait déjà, grâce à son domaine forestier, d’une attractivité considérable. Les aménageurs se sont enfin décidés à passer à l’acte. La marina avec ses 139 anneaux est achevée depuis moins de deux ans, les passants commencent à se balader sur les pontons et un quartier entier est en train de prendre forme.

"C’est plutôt pas mal, peut-être un peu trop convenu " confie Christian aux 12 randonneurs convoqués par ses soins sur les berges du bassin. Un « coup de pompe » imprévu l’a contraint à reporter d’une quinzaine de jours la sortie qu’il va guider aujourd’hui. En jetant l'ancre à l’Isle-Adam voici plus de vingt ans, il avait compris que cette ville l’attendait. Elle a tout ce qu’il faut pour lui plaire. L’immensité de son domaine forestier lui donne particulièrement la sensation de disposer d’un espace infini, d’avoir constamment le champ libre.

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Tout près de l’Oise, l’ancienne zone lacustre de la Rosière s’est transformée en un espace naturel en train de se revivifier. Déjà, depuis l'année dernière, le site accueille des grenouilles, des carpes et des brochets et sûrement aux beaux jours des colonies d’abeilles et de papillons. Mais cette légère brise fluviale n’est que l’avant-goût du grand bol d’air forestier que va apporter la sortie. Il est grand temps de s’enfoncer dans les bois.

Une note discrète de vétiver

Il aurait été stupide de rater cette époque bénie où la forêt s’enveloppe de sa plus belle parure. Le long du chemin des trois sources, c’est les yeux au ciel qu’on cherche les feuilles jaunies dans la canopée. Impossible de se perdre dans cette section quadrillée d’allées et de routes forestières qui partent rejoindre le carrefour de la Table de Cassan. L’origine de cette table de vénerie remonterait au 18e siècle. Après l’affût, les chasseurs exposaient fièrement leur gibier sur ce monolithe de calcaire.

Une note discrète de vétiver

On la quitte sans trop de regrets en soulevant du pied les feuilles en tapis léger. Les arbres cachent dans leurs racines apparentes de petits glands qui feront les délices des écureuils. Déjà les fougères ont viré au roux et les amateurs de champignons n’auront qu’à farfouiller les talus moussus pour satisfaire leur envie. Si des cèpes ou bolets présentent des signes de moisissure, leurs voisins n’en paraîtront que plus honnêtes et tentants.

Une note discrète de vétiver

Le domaine forestier de l’Isle-Adam se rattache à la plus commune des futaies européennes : la chênaie-hêtraie. Les chênes y demeurent majoritaires, jalousés par les hêtres qui dans cent ans pourraient prendre le dessus, sauf si la maladie de l’encre, se propageant insidieusement à partir du secteur de Montmorency, vient réduire cette volonté de puissance. Pour l’instant, les plus beaux spécimens de chaque espèce ne demandent qu’à donner de l’ampleur à leur propre aventure. Au carrefour des Forgets, un quatuor de hêtres, le tronc lisse et bien droit, a sacrifié les branches basses pour survivre dans la guerre à la lumière. Un peu à l’écart de la route des Pavillons, un chêne affligé d’un texte gravé au couteau se serait bien passé de cette scarification, déplacée pour son grand âge.

Une note discrète de vétiver

Les pluies récentes ont exacerbé les flagrances de la terre végétale qui viennent chatouiller les narines. Malgré l’unicité du paysage et la montée vers le village de Nerville ressentie comme le seul exploit athlétique envisageable, les marcheurs se suffisent de la perfection de cette masse rassurante de troncs et de feuilles. Tranquillisés par le cours régulier de la marche, réjouis par la présence inespérée d’un soleil plutôt complice, ils ne s’inquiètent même pas de la longueur du trajet. Ils se glissent mollement dans cette couette chlorophyllienne qui distille des odeurs de sous-bois. Bien au chaud, le groupe s’y blottit avec le sentiment de se sentir protégé par cette sorte d’ouate végétale. Tout doucement, « il s’enforeste »

Une note discrète de vétiver

Mais cette apparente sérénité ne résiste pas aux besoins physiologiques, le casse-croûte ne peut plus attendre. C’est le rite immuable qui structure toute marche. Une salade composée, un sandwich thon mayonnaise, des biscuits fourrés, la sortie trouve là de la consistance. Au cœur du village de Nerville, une pelouse agréable servira de cantine.  La bouche un peu grasse, on y goûte aussi aux histoires locales de Luc, venu en voisin. Un vent frais se lève brusquement et fait apprécier d’autant plus la chaleur du sourire de l’invité, masqué pudiquement sous une barbiche assyrienne.

Une note discrète de vétiver

La route asphaltée inspirant peu de confiance, le retour au couvert végétal est la voie qui s’impose. La forêt de l’Isle-Adam, son passé, son présent et son avenir, on ne va pas y couper dès qu’on accompagne Christian. Il confesse la parcourir en tout temps et en tous lieux, à pied, en courant ou à vélo. Voilà au moins quelqu’un qui ne sent pas la poussière ou la naphtaline. Il est de la forêt comme on est d’un pays. On le verrait bien porter sur lui une note discrète de vétiver. Ce parfum légèrement boisé collerait parfaitement à sa nature sylvestre. 

Une note discrète de vétiver

Pas trop d’angoisse pour le retour, la route des Bonshommes conduit jusqu’aux abords  de  la ville. Démesurément rectiligne, elle tire un trait qui paraît ne jamais se finir. La forêt actuelle doit beaucoup au Prince Louis-François de Bourbon-Conti, filleul de Louis XV. Il la fit aménager pour la chasse en traçant d’immenses allées dans son domaine, la partie basse réservée au petit gibier, la partie haute aux sangliers. Des traces de piétinement marquées sur le sol démontrent que ces derniers sont toujours en bonne forme. Ce n’était pas le cas il y a soixante ans, ce furent les chasseurs qui poussèrent à sa reproduction. Que doit penser cet ongulé, au demeurant paisible, de la nature de l’homme ?  D’une main il le nourrit, de l’autre il l’élimine !

Une note discrète de vétiver

Juste avant de rejoindre la ville, la route forestière devient goudronnée. C’est le milieu de l’après-midi, un moment et un lieu favorables aux balades citadines. Parmi les passants, un grand-père accompagne le paisible trottinement d’un âne sur lequel monte fièrement son petit-fils, bombe sur la tête. Les grands parents ne sont pas des adultes comme les autres, ils n’ont souvent peur de rien. Celui-ci n’a pas hésité à s’engager dans cette périlleuse aventure équestre qu’arrive cependant à maîtriser parfaitement le petit garçon du haut de ses cinq ans. Au passage, on ne peut s’empêcher de féliciter le cavalier pour tant de bravoure et le guide pour sa conduite. « Il aura sa récompense à l’arrivée » proclame le grand-père devant les admirateurs, révélant qu’il détient dans sa poche une poignée de noisettes réservée à l’animal. « Mais non, il ne faut pas lui dire, c’est une surprise » s’insurge l’enfant, les larmes aux bords des yeux. Il sait pourtant que les grands font toujours exprès d’agir à l'opposé de ce qu’il convient de faire.

On quitte ce duo, tout penauds, en s’en voulant beaucoup d’avoir contribué à trahir un si lourd secret !

Une note discrète de vétiver

Le Parcours

Vendredi 4 novembre

La marina de l’Isle-Adam (95290), la voie verte des bords d’Oise, le site de la Rosière, la route des Trois Sources, la route de la Garenne, la table de Cassan, la route du Lary, les Forgets, la route des Pavillons, le poteau de la Tour, Nerville-la-Forêt, carrefour de la  Malmaison, la route des Bonshommes, le centre-ville, la plage.

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