La pudeur des vignes vierges

Publié le par club rando

Certes, par gros vent ou pluies chagrines, il convient d’avoir un bon tempérament pour oser l’extérieur. Pourtant, même au plus bouché de l’horizon, reste toujours l’espoir d’une clarté venue d’on ne sait où. On aurait tort de résumer la Haute-Normandie à sa côte d’Albâtre, de n’y voir qu’un plateau de fruits de mer, une bolée de cidre ou la houle bleutée des champs de lin. Dans l’espace d’un voyage automnal, prévu culturel et gourmand à Rouen, historique aux Andelys, pastoral à la Bouille et sylvestre à Lyons-la-forêt, le pays de Corneille et Flaubert a tout fait pour brouiller les cartes. Et prouver aux 20 participants qu’il faudrait être fou pour partir en pays lointains alors que revient toujours ici le soleil après les nuages.

La pudeur des vignes vierges

A l’origine de la rencontre, Jacques et Martine ont conçu ce séjour. Natifs du département de la Seine-Maritime, ils lui portent un regard si ardent qu’aucun ciel mouillé n’est arrivé à éteindre. Amoureux de leur terre natale, ils en défendent les couleurs et le fumet. En plein accord avec son milieu originel, le couple ne demande qu’à distiller son enthousiasme. Plongés dans un creuset aussi favorable et revenus à la poêle sous les «watts» d’un soleil paradoxalement abondant, chacun était sûr à l’avance que les plats proposés auraient du goût.

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Visible de loin et dominant la bourgade des Andelys, la citadelle de Château-Gaillard ressent le poids de son ancienne grandeur. Elle défendait autrefois un royaume, aujourd’hui elle ouvre à peine les portes d’une province. Juchée en haut de falaises crayeuses, ses ruines se pensent encore forteresse. Bâtie vers 1196 par Richard Cœur de Lion, prise d'assaut en 1204 par Philippe Auguste, démantelée en 1603 par Henri IV,  la citadelle présente les restes d'un ouvrage avancé de forme triangulaire, d'une double enceinte et d'un donjon. Bien qu’elle ne connut qu’une vie très brève, elle dégage une image de force et de puissance. Château-Gaillard provoque l’admiration lorsqu’on découvre ce décor de pierres et moellons, qui s’impose sans écraser.

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Des sentiers sillonnent la pente mais le groupe, bien averti, a choisi celui qui débouche du plateau sommital. Emprunté par les assaillants, il fut la voie des vainqueurs. Une volée de corbeaux s’est posée sur ses pentes herbeuses et tient conciliabule. En contrebas, des péniches chargées de containers défilent en procession. Dans son immobilité forcée, l’édifice ne joue plus d’autre rôle que celui de recevoir leur amical salut.

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En dessous de la butte, le quartier du Petit-Andely s’est trouvé une nouvelle identité. Il regorge de salons de thé, de boutiques d’antiquaires et d’hôtels haut de gamme qui en font ses nouveaux atouts. Ses ruelles accueillent touristes et croisiéristes fluviaux qui viennent y humer un premier parfum de Normandie. Loin de l’agitation, il est préférable de retrouver le centre de la ville. Des ruisseaux la parcourent et se ramifient en différents canaux qui alimentaient autrefois moulins et anciennes draperies, faisant des Andelys, disent les dépliants, «une petite Venise». Une de plus ! La ville apparaît suffisamment séduisante pour ne pas s’encombrer de cette charge inutile.

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Robert 1er, dit le Diable, a échappé à la liste des grandes figures que l’on cite souvent sans vraiment trop les connaître. On sait tous que Rollon, Guillaume le Conquérant et Richard Cœur de Lion appartiennent à la légende dorée de la Normandie. Souverains pas forcément «justes et bons», au service avant tout de leur propre ambition, ils ont cependant traversé le temps auréolés d’une renommée qui les qualifie pour l’éternité. On avait presque oublié ce père fondateur, connu par certains érudits comme le géniteur de la plus grande gloire locale «Guillaume le Bâtard». Violent, brutal et prompt à dégainer l’épée, c’est pourtant Robert le Diable qui réalisa l’unité de ce qu’on nomme maintenant les deux Normandie. Il se racheta de ses nombreux péchés en finissant son existence comme ermite, disputant aux chiens une maigre pitance.

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Personnage enfin réhabilité au panthéon normand, le château posé au-dessus de la localité de la Bouille lui est attribué. L’édifice fortement réinterprété par un imaginaire romanesque témoigne des nombreuses interrogations qui entourent la personnalité troublante de Robert le Diable. Vu de près, il ressemble trop à l’idée qu’on se fait d’un château fort pour qu’on y croie tout à fait.

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Mais on n’est pas monté spécialement sur la colline pour tout connaître des turpitudes du haut Moyen-Age. On y admire plutôt le décor splendide du premier méandre de la Seine après Rouen. On a du mal à imaginer que dans le paysage si paisible inscrit dans la courbe, il y a un millénaire, les hommes se faisaient la guerre. Un peu plus tôt, de l’autre côté du bac, les marcheurs avaient débarqué par un transbordement tranquille sur les rives du village de Sahurs. Ils y trouvèrent une Normandie rurale qui s’étale dans un espace ouvert ne demandant qu’à respirer.

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La pudeur des vignes vierges

Les tons d’octobre ont posé du vermeil sur certains arbustes et sur les vignes vierges qui courent un peu partout. C’est ainsi que la plante manifeste sa grande pudeur, héritage sans doute d’une stricte éducation. Ses feuilles se sont mises à rougir à la vue des arbres voisins qui commençaient à se dévêtir. Déclinant ce trait de caractère, les vignes vierges garderont ainsi chastement leur feuillage jusqu’au plein hiver.

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Revenir visiter la Bouille demandera un peu de patience. Le gros cargo qui file vers le Havre est enfin passé. Le bac bleu et blanc a pu alors reprendre sa course pendulaire.

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Ce jeudi à cette heure matinale, les passants se font plutôt rares dans le centre-ville de Rouen. François S. et son épouse sont descendus de la côte Sainte-Catherine pour accueillir leurs invités. Membres de l’association, ils ne travaillent plus à Rouen, n’y jouent pas de rôle social, habitent une jolie périphérie, mais pour eux, c’est leur ville. Ils y viennent souvent profiter du meilleur de chaque saison. Aujourd’hui, c’est tout ce qui les unit à Rouen qu’ils vont gentiment essayer de transmettre aux 20 passagers clandestins venus la surprendre : l’atmosphère des rues, le bois chaud des colombages, l’élégance des flèches des églises s’élançant dans le ciel et le rappel incessant de l’Histoire.

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Ils auront fort à faire. Egrener un chapelet serait plus court que citer la litanie des sites admirables tellement la visite s’avère fructueuse. Chacun se contentera du souvenir personnel de ce que furent ses meilleures impressions : celles ressenties devant une façade, au coin d’une place, dans une demeure remarquable ou devant la majesté des édifices civils et religieux de la ville «aux cent clochers». Répondant sans doute aux contraintes de l’aménagement urbain, le mélange entre l’ancien et le moderne étonne un peu mais ne choque pas. Le charme mélancolique du pan de bois soulève quand même plus de tendresse que la rigueur de l’acier ou du béton.

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S’interroger sur la plus belle rue de Rouen paraît tâche dérisoire. Rue Damiette, rue des Chanoines, rue de la Tour de Beurre, rue du Gros Horloge, rue Eau de Robec, rue de la Pie, toutes ont dans le nom un côté ancienne province. Embellies, encore vouées au négoce, elles ont gardé leur charme intemporel. On y trouve ce qu’on cherchait, le plaisir de flâner à loisir dans une ville que l’on redécouvre mais qu’on ne reconnaÏt pas.

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A Lyons-la-Forêt, la pureté du ciel annonce une journée magnifique, la plus belle de la semaine, conforme à l’idée que l’on se fait de l‘été indien, avec la pointe de regret que le séjour se finisse déjà. Le village au fond du vallon a tout d’un cliché de carte postale. La brique brune faussement austère y domine, cachée sous des voiles de glycines et de clématites. Le pays de Lyons est surtout connu pour son emprise forestière. Composée en majorité de hêtres, la forêt couvre un plateau entaillé par des vallées étroites. Largement défrichées au Moyen-Age en clairières, elle se morcelle en de nombreux massifs, loin du schéma habituel d’un ensemble monobloc. Sur un coteau, des frondaisons arborent fièrement des teintes rouges et jaunes, les couleurs du drapeau normand. Pour traverser octobre, la forêt s’est inventée le plus chauvin des oriflammes. Dans un tel cadre, viendrait presque l’envie de se perdre pour mieux pénétrer l’intimité des sous-bois.

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L’abbaye de Mortemer s’est repliée au milieu de la hêtraie. Abbaye au nom bien étrange pour cette contrée continentale, elle fut fondée par Henri Ier Beauclerc, le fils du Conquérant, qui appréciait tant le lieu qu’il le choisit pour son trépas. Tout à côté, jaillit la fontaine Sainte Catherine, la fontaine qui guérit. Sortie de l’herbe, une source clapote puis anime un petit ruisseau, le Fouillebroc. Le suivre dans son étroit vallon apaise les sens. Le soleil de l’après-midi brille encore plus fort. A l’angle d’un pré, un osier et un petit marronnier, isolés de leurs confrères, se sont rapprochés comme s’ils cherchaient à lier une histoire singulière. Manifestation d’indépendance ou signe cachée d’une nature bouleversée ?

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Le Séjour

L’hébergement a été confié au Brit-Hôtel Rouen Nord à Mont-Saint-Aignan (76130)

Mardi 4 octobre.  Transfert aux Andelys (27700), le centre-ville, montée de la Courcanne, le Levant, montée du Val Saint Jean, Château-Gaillard, le Petit Andely, le centre-ville par le collège, transfert à Mont-Saint-Aignan.

Mercredi 5 octobre. Transfert à la Bouille (76530), le bac, Sahurs, la promenade de  la Seine, le bac, la Bouille, montée vers le château de Robert le Diable,  retour vers la Bouille par la Seine. l’hôtel par Croisset le pavillon Flaubert 

Jeudi 6 octobre. Visite du centre-ville de Rouen rive droite.  En soirée, diner à l’auberge St Jacques à Saint Jacques-sur-Darnetal (76320)

Vendredi 7 octobre. Transfert à Lyons-la-Forêt (27480). Le centre-ville, le clos Saint Antoine, la fontaine sainte Catherine le vallon du Fouillebroc, l’abbaye de Mortemer, la croix des Fusillés, le Val Sauret, Lyons-la-Forêt. Dislocation 

 

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