201405 le chant de la sibylle

Publié le par club rando

Sac négligemment posé sur l’épaule gauche, tête adroite, devant les rails du train touristique, Michel attend le groupe de vingt randonneurs pour la visite qui les conduira à Palma. Derrière sa silhouette distinguée se découpe le clocher de l’église San Bartomeu de Soller qui devance la ligne de front des barres rocheuses de la Serra de Tramuntana.

bal 1Pas besoin de trop se soucier de l’heure du retour. Quel que soit le transport utilisé, on se déplace à Majorque avec un naturel routinier. La lumière du matin est réconfortante. Le voyage proposé, comme depuis l’arrivée, sera superbe. Venue de la grand- place si proche, flotte subtilement dans l’air la saveur prononcée des volutes de café.

Après huit ans d’infidélité printanière, il était grand temps de revenir du 20 au 27 mai dans cette partie occidentale de l’île. Déjà parce qu’on savait y trouver l’accueil privilégié d’un guide amical. Mais aussi parce que la moindre promenade y donne l’occasion de découvrir un monde à la méditerranée triomphante. Ici, la rudesse de la montagne, l’harmonie des couleurs, les senteurs végétales et l’horizon qui se noie dans la mer participent à la perfection d’une nature heureusement préservée des ravages du  béton.

bal 2 (Copier)Pour mieux l’apprécier, depuis quelques années la Communauté des Îles Baléares a concrétisé un itinéraire pédestre qui suit le profil de la Serra de  Tramuntana. C’est le GR221, le cami de la pedra en sec, en hommage aux terrasses, canaux et sentiers empierrés que rencontre son tracé. Ce GR n’a qu’un but : Emmener le promeneur pour relier les pics décharnés, pénétrer les garrigues odorantes et descendre dans les criques paradisiaques. Dans toute cette profusion minérale et végétale, il ne cherche qu’à faire gambader le cœur.

bal 2 aSoller et plus précisément son port est notre point d’accroche. La ville enclavée dans un site montagneux se trouve séparée du reste de l’île par une barrière rocheuse. Cette particularité l’a poussée à assurer son développement sur son unique débouché naturel, la mer. Elle a établi ainsi des liens commerciaux et sociaux avec l’extérieur et particulièrement la France. Une association locale, animée par Madeleine, qui sera notre autre guide pétulante de connivence, rend hommage à la mémoire de tous les Sollerics qui ont émigré au 19° siècle vers la France. L’association regroupe aussi nos compatriotes, souvent issus de cette diaspora, qui retrouvent ici une seconde patrie.

bal 3Alain et Wiesha entretiennent avec l’île un rapport plus tourné vers l’avenir que le passé puisque fille et petits -enfants vivent sur place. Leur capacité au bonheur s’y fructifie avec les années et rend leur sangria encore plus généreuse pour les visiteurs de passage que nous sommes.

bal 4A Soller, pour goûter à la vie locale, le plus facile consiste à s’installer sous les platanes de la Place de la Constitution face à la bâtisse art nouveau de la Banque Centrale. Des enfants s’y amusent à la balle et des anciens discutent sans fin du prochain match qui va opposer deux équipes espagnoles. Des adolescents délurés reluquent la plastique teutonne de quelques beautés blondes venues mélaniser leur peau jugée trop laiteuse. Il ne reste plus qu’à demander  son café américan (allongé) ou déguster une glace à la mandarine avant de se décider à bouleverser l’ordre des choses.

De nombreux circuits pédestres s’inscrivent autour de la ville. Orangers, citronniers, palmiers, avocatiers poussent ici avec luxuriance grâce au climat propice. Lorsque le chemin s’élève, les oliviers centenaires prennent immédiatement la relève. Ils se trouvent très souvent jumelés avec des caroubiers à la cime touffue. Au-dessus du phare du Cap Gros, un sentier escarpé monte en zigzag  puis disparaît parfois entre les pierres érodées par le temps. Sur le plateau qui lui succède, romarins, asphodèles et cactées poussent à l’abri des pins.

bal 5La finca de Son Mico, qui exploite toujours ses orangers, présente une architecture locale typique avec un arc en plein cintre comme entrée principale et de petites marches collées à la façade. En plus de sa beauté esthétique, elle propose aux randonneurs un bel art de vivre puisqu’on y commande des jus de fruits fraîchement pressés, des tartes exquises et des marmelades maison. Son accueil raffiné complète l’extase des goûts.

bal 6Dès sa sortie, on retrouve la mer dans une enfilade de pinèdes, chênaies et cultures en terrasses. Le paysage n’est que confusion de nuances de vert et de bleu. On aperçoit au loin l’église de Deia qui s’avance en pointe comme une proue vers le ciel et la mer.

bal 7L’ombre de grands bananiers donne plus de fraîcheur à la route asphaltée qui conduit à Biniaraix, joli hameau de maisons avec jardins et de ruelles en escalier. D’ici grimpe la fameuse voie muletière qui suit un ravin, connu sous le nom de Barranx, jusqu’au Col de l’Ofre et au barrage de Cùber. Ce chemin pavé est le répertoire magistral de techniques nécessaires à l’assemblage des pierres sèches. Les risques d’un orage soudain nous priveront plus tard malheureusement de sa descente. Plus loin, au bas du cimetière de Fornalutx démarre le circuit des orangers. Le chemin descend dans une explosion de dégradés de vert piquetée par les taches oranges des fruits. La meilleure, la plus sucrée, s’appelle la Canoneta. C’est le décor idéal pour les peintres. François absorbé par la contemplation ne peut résister à produire une esquisse exécutée brutalement à la sanguine.

bal 83Les vieilles banquettes en bois du train qui file vers Palma sentent bon la cire. Ville première puisque les majorquins ne l’appelèrent que la Ciutad, ce qui veut dire simplement la ville. Elle récupèrera plus tard son ancien nom romain de Palma. Au début de l’ère médiévale, après le passage des vandales et des byzantins, les arabes l’agrandirent et l’entourèrent de vergers resplendissants. Sa cathédrale, la Seu, domine la baie et  à son coté se dresse le Palais de l’Almudenia, mélange d’art chrétien et musulman qui sert maintenant de résidence royale.

De vieilles rues convergent vers le couvent San Francesc où repose Ramon Llul, surnommé le Docteur Illuminé. Ce théologien tenta au début du 14° siècle de rapprocher les trois religions du livre au travers d’une doctrine complexe et rigoureuse. C’est l’enfant chéri de Palma. Mais Michel, très circonspect sur le personnage, ne retient de son enseignement que le qualificatif donné à son titre.

bal 95Le bateau, après avoir croisé sous la Torre Picada qui surveille le port de Soller, trace son cap vers le site de Sa Calobra après avoir longé la côte déchiquetée et délicieusement préservée. Il s’agit de deux criques encaissées, entourées par des parois rocheuses dont l’une est l’embouchure d’un canyon surnommé le Torrent de  Pareis.  On atteint le défilé par un sentier creusé dans la roche. A sa sortie, c’est l’éblouissement. En arrière-plan : le mât d’un voilier se balance sur une mer turquoise enchâssée par les deux parois verticales qui en marquent l’embouchure. En amont, dans l’air soyeux, l’entrée du canyon présente un paysage lunaire.

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Le monastère de Lluc, dédié à la Vierge Marie est le cœur spirituel de l’île. Sa célèbre manécanterie est connue sous le nom d’Els Blauets à cause de la couleur bleue de l’aube des petits chanteurs. Une de leur prestation la plus remarquable, le chant de la Sibylle, s’inscrit la nuit du 24 décembre comme un témoignage toujours vivace de l’identité insulaire. Au haut Moyen Âge, les théologiens et pères de l’Eglise avaient introduit le message d’une prophétesse de l’antiquité grecque, la Sibylle d’Erythrée, parce qu’elle aurait pressenti l’avènement du christianisme. Ce message prophétique fut intégré à la liturgie de Noël sous forme de chant, puis déclaré ensuite comme non conforme au rite catholique. L’évêque de Majorque refusa l’interdit pour le conserver comme partie intégrante de la foi religieuse de l’île. El Cant de la Sibilla, rehaussé  par la voix cristalline des Blauets, résonne donc toujours dans le chœur du monastère comme témoignage intangible de la tradition majorquine.

 André et Michel P. sont saisis par cette histoire, puisqu’ils connaissent l’importance de l’imaginaire pour tout ce qui touche aux mythes de fondation ou aux rapports avec les dieux.

annee-2014 0229Malgré leur réticence à ne pas vouloir gêner certaines sensibilités de l’auditoire, ils s’approchent du lutrin sur lequel est posé le livret du Salve Regina inscrit en plusieurs langues. A cappella leurs voix s’élèvent dans ce lieu solennel. Ce n’est pas un acte de foi mais un clin d’œil aux Blauets et à la Sibylle. Une façon aussi d’exprimer leur plaisir d’être ensemble. Peut-être, un simple salut à la vie !

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Le programme du séjour

21  mai : le massif de la Muleta, le ravin de Son Sales, le coll d’en Barasser, le port de Soller

22  mai : le circuit des orangers : Soller, Biniaraix, Fornalutx

23  mai : Son Mico, le GR 221, Deia, la Cala de Deia

24  mai : visite de Palma par le train touristique

25  mai : Torre Picada, la S’illeta de Can Gordo, navette bateau vers la Sa Calobra

26  mai : Lluc, le barrage de Cùber, le cami de Rocafort de Soller à P. Soller

 

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