201405 l'ami Georges

Georges Brassens reste un chanteur intemporel très peu affecté par les rides de l’oubli. Des textes de ses chansons traînent dans toutes les mémoires, sans doute encore "poussés par le Mistral et la Tramontane, tous chargés de parfum et musiques jolies". Sa complexité poétique et sa recherche de bons mots, le plus souvent plaqués sur des arpèges mélodiques répétitifs, en ont fait une institution de la culture française. Faux misogyne et fidèle en amitié, il avouait sa reconnaissance à ceux qui l’ont construit et formé. Chaque fois qu’il écrivait une nouvelle chanson, il se posait la même question : Est ce qu’elle plairait à Monsieur Bonnafé, son professeur de troisième du lycée de Sète qui avait initié à la versification cet ancien adolescent turbulent ?

Il savait réunir dans la rime des mots que l’on ne s’attendait pas à voir associés. Bien que depuis trente-deux ans "son âme ait pris son vol à l’horizon vers celle de Gavroche et de Mimi Pinson" nous sommes un peu tous restés au fond de nous-mêmes nostalgiques de ce poète.

Mais pourquoi évoquer sa mémoire dans cette chronique de la balade de vendredi dernier ?

Parce que en ce second jour de  mai, une initiative nouvelle vient d’être proposée aux 26 participants : Répondre tout au long du parcours de quinze kilomètres à une batterie de questions présentées sous forme de quiz. Et parmi celles-ci, une des plus difficile et des  plus animée conduisait à retrouver le titre de chansons de l’ami Georges.

L’idée du quiz en marchant est inhabituelle. Elle participe à casser les codes du rituel consacré et ainsi rendre la progression plus légère. Aujourd’hui on oublie un peu le parcours, la distance et la sensation de l’effort  pour s’abandonner à la passion du jeu et succomber à ses tentantes addictions. Tout cela paraît peut-être un peu futile, dérisoire, inutile mais en même temps se ressent comme un plaisir nouveau, savoureux, excitant. Et tous deviennent très vite 26 compétiteurs qui se prennent à l’exercice d’autant plus qu’il se joue en équipes.

Le joli mois de mai n’est pas toujours ce qu’il devrait être. Ceux qui affirment "que le beau temps me dégoute et fait grincer des dents" sont plutôt servis car en ce jour il est plus aisé de faire les yeux doux aux nombreux stratus que de se cacher des ardeurs du soleil. Des nuages menaçants se bousculent dans un plafond bas comme s’ils étaient pressés de répandre leurs mauvaises nouvelles sur des terres plus à l’est. Ils lâchent au passage d’infimes gouttes d’eau, juste pour rappeler qu’ils ne passent pas pour rien. Alors commence le supplice du ciré qu’il convient de mettre, d’enlever puis de remettre dans un geste rageur.

Passées les premières questions posées devant le porche de l’église de Boissets(78910), le tracé franchit les limites du département de l’Eure-et-Loir pour conduire jusqu’au pied d’une tour de télécommunication que l'on aperçoit de très loin. Sous le ciel gris dans lequel s’ouvre la plaine, la campagne semble se désanimer. Elle ne révèle qu’une étendue vide de vie, à peine perturbée par la vision lointaine d’un camion qui la traverse. Où sont passés les gens qui l’habitent ? Sensation bizarre d’un paysage qui s’est endormi, peut-être à cause du pont du premier mai ! Le groupe se trouve dans une période transitoire entre les séries de questions. Chacun chemine sans oser  regarder son voisin, comme s’il souffrait d’un mal à ne pas divulguer. La halte au hameau des Millerus ranime flamme et moral. Un vent plus soutenu a chassé momentanément le crachin. Les capitaines désignés concertent leur équipe et demandent la continuité des épreuves. Ils ont tous leur plan et sont convaincus de la justesse de leur stratégie. Chaque participant tient à apporter sa pièce à l’édifice. Des ressources insoupçonnées de savoirs se révèlent et de judicieuses réflexions se démontrent. L’union fait la force. Les bons résultats s’engrangent.

Les pluies récentes ont alourdi la texture du sol. Des gouttelettes d’eau étincellent entre les tiges des champs de colza. Un moment le chemin devient plus souple puisqu’il s’efface dans des herbes folles. Les randonneurs bien que disséminés sur ce trajet très rectiligne avancent dans un mouvement de confiance et d’intimité avec la nature.

Le clocher de l’église de Tilly(78) se découpe au fond. Le village marquera la halte du déjeuner. Son château du 18 ° siècle appartenait à l’Amiral de Grasse, natif de  Bar-sur-Loup (06) puis devenu marquis du lieu. En 1781, dans un combat naval devant  la ville de Yorktown,  il bloque l’arrivée des secours anglais et permet à la jeune nation américaine d’entamer sa marche vers l’indépendance. La valeur et la renommée de François-Joseph-Paul de Grasse sont  plus reconnues aux Etats-Unis qu’en France.

photo  Tableau de la bataille de Yorktown ; Départment of Navy Washington

C'est au coeur du village qu'arrive la séquence consacrée à Brassens. L’exercice prend vite une autre dimension puisqu’il restitue des phrases puis des souvenirs qui restent intemporels. L’animateur, pour le faire revivre, se risque même à reprendre quelques refrains. L’artiste ne nous a pas vraiment quittés. Il n’est jamais aussi présent.

L’itinéraire de retour est toujours aussi plat. Les blés à peine levés couvrent à perte de vue une mer de champs, tout juste entaillée par le cours de la rivière la Vaucouleurs. L’ultime test se passe à sa traversée. C’est aussi le plus redouté : celui de la mémoire! Cette faculté de stockage de l’esprit n’est pas la même pour tous. Souvent elle se dissimule dans les bas-fonds de l’intime. Elle a la fragilité d’une flamme de bougie qui s’éteint au premier courant d’air. Mais les gouttes d’eau de la connaissance restent fécondes et la toile d’araignée des souvenirs des uns s’ouvre sur celles des autres. L’exercice est brillamment réussi. Le classement final peut être alors prononcé. Il s’avère extrêmement serré. Une équipe l’emporte mais avec le plus infime des avantages.

Le soleil ardemment désiré arrête tout d'un coup sa bouderie et décide enfin à se montrer au moment même où se clôt la balade à l’entrée du parc du Douaire, propriété de la commune de Boissets. Le jardin est délicieux avec ses  buis, ses cerisiers du japon et ses frondaisons de tilleul. La lumière est belle, l’endroit idyllique, parfait pour y immortaliser la photo sacrificielle

 Le ciel devient limpide, bleu-acier, comme les prémices d’une fin d’après-midi de printemps. Quel dommage qu’il se soit décidé si tard !. Cela sera donc la seule note discordante avec "l’humble troubadour" qui appréciait peu de "se laisser emmener vers les cieux toujours bleus des pays imbéciles où jamais il ne pleut"

Ps : les phrases et mots en apostrophe proviennent des textes de deux chansons de Georges Brassens ( l’Orage et Supplique pour être enterré sur la plage de Sète )

 le Parcours

Parc le Douaire au Boissets, bois de la butte, église de Boissets, le chemin vert, tour télécom des sablons, le haut-arbre, Tilly par le chemin du près de la noue, st laurent, chemin de dreux, la vaucouleurs, Boissets