201407 la perte du Bonheur

Publié le par club rando

Le Bonheur est une petite rivière sans histoire qui doit sa vivacité aux pentes occidentales du Mont Aigoual dont elle est issue, tout près de Camprieu (30750). Mais après moins de cinq kilomètres de sa source, sans doute déjà déçue par le monde,  elle décide d’un coup de disparaître dans un trou obscur avec toutes les légendes qui la suivent.

Mais le bonheur ne peut rester qu’éternel ! Deux kilomètres plus loin, la rivière réapparaît pour retrouver la lumière dans une faille gigantesque percée dans  la roche. Sa résurgence à l’abîme de Bramabiau, marque en fait la naissance de la spéléologie française puisque l’existence de ce réseau souterrain a été découverte par son père fondateur, Edouard Martel, en 1888.

larzac 1Les cinq randonneurs restent émerveillés par la richesse de ce réseau souterrain qui a construit concrétions et galeries, témoignages du travail de l’eau. Et surtout rassurés, puisque dans ce grand ensemble karstique, le Bonheur, désormais reconstitué, a retrouvé un lit et le monde qu’il voulait fuir.

C’est l’ordre normal, puisque la poursuite du bonheur est une envie universelle de la nature humaine. Elle reste le plus souvent une espérance puisque la quête du bonheur se résume plutôt au bonheur de sa quête. Pour le trouver, dans l’exercice de la marche, les chemins les plus droits ne sont pas les meilleurs. Il est mieux d’ignorer les lignes rectilignes et d’aimer l’itinérance. C’est ce choix qui nous guide cette année, en décidant pour le faire, de relier les Cévennes au Larzac.

larzac 2Partir de Saint-Jean-du-Gard (30270) pour arriver au Caylar (34520), c’est traverser des grands espaces où le schiste touffu précède le karst et son calcaire assoiffé, le tout dominé par l’imposante silhouette granitique du Mont Aigoual dont le sommet bat paradoxalement le record de pluviométrie en France. Les Cévennes, véritables petites montagnes intérieures, conservent toujours l’image d’une terre de réforme, de refuge et de résistance. Dès le seizième siècle les colporteurs y font circuler les bibles venues de Genève et comme l’a relaté l’écrivain régionaliste André Chamson "même la laine des moutons suinte l’hérésie". Les cévenols subirent l’ardeur des dragonnades qui voulaient aux dix-huitième siècle venir à bout de ces nouveaux prophètes  et prédicants qui contestaient le culte voué aux chérubins et autres armées d’anges. "C’est ici même qu’il y a trois siècles, des paysans, des artisans, de simples bergers, tout un petit peuple dont l’horizon ne dépassait guère la vue des crêtes,  nourris aux écritures saintes, a donné à l’Europe médusée une incroyable leçon de liberté" *

larzac 3 (Copier)La présence de cimetières familiaux atteste que la tradition protestante perdure toujours. Les paysages, seuls, ont changé. L’exode rural les a rendus beaucoup plus boisés. Les chemins entre Saint-Jean-du-Gard, Colognac et Valleraugue démasquent l’architecture traditionnelle en surplombant des temples austères, de vieux ponts à dos d’ânes ou de fermes massives au toit en lauze comme à Bonperrier. Quelques demeures bourgeoises et des magnaneraies rappellent le temps de l’époque industrielle dans les petites villes de fonds de vallée.

larzac 4L’Aigoual impose le respect, surtout depuis Valleraugue qu’il domine de près de 1 200 mètres. Pour l’atteindre, le sentier des 4 000 marches est mythique. Le départ est très raide puis la montée devient moins brusque alors que les genêts, les sapins et hêtres et enfin les pâturages se succèdent au fil de l’ascension. Une station météorologique y culmine à 1 565 mètres. Construite sur le modèle d’un château fort crénelé, elle abrite un intéressant musée didactique. Comme souvent, elle est noyée dans le brouillard. Le panorama y est paraît-il époustouflant ! Nous essaierons vainement de le discerner.

larzac 5Entre Causses et Cévennes, le village de Nant (12230) est une porte d’accès du Larzac. Dès le dixième siècle de braves moines bénédictins assèchent ce site marécageux et créent un réseau de canaux qui existent toujours et qui lui donnent un petit air de Venise du Sud-Aveyron. Pour l’heure c’est une jolie station verte très prisée par le tourisme estival. Le plateau du Larzac est semé de commanderies templières et hospitalières qui depuis le douzième siècle administraient le pays et soulevaient des dons pour soutenir leur mission en Terre sainte. Les murailles des villages de Sainte-Eulalie-de-Cernon, La Cavalerie et La Couvertoirade sont épaisses et enferment toujours le souvenir de ces moines-soldats.

larzac 6Sur les parties dénudées du Causse, l’eau est rare et s’infiltre dans les fissures. Mais le Larzac est loin d’être steppique et offre bien au contraire une large diversité paysagère. De temps en temps, une ancienne jasse, abri voûté en pierre sèche, rappelle cependant qu’ici le plus important c’est la brebis. L’autoroute A75 qui traverse les lieux du sud au nord  apporte un courant d’air chaud bien nécessaire pour ce début juillet. Son souffle procure de belles ascendances à une troupe impressionnante de vautours qui surveille notre avancée en évaluant  la consistance de nos carcasses. Peine perdue, elles sont solides et iront jusqu’au bout.

larzac 7 (2)Des Cévennes au Larzac, les chemins sont larges, nombreux et généreux. Dans l’histoire, c’est la pratique de la transhumance qui a donné ses limites au territoire. En emmenant leurs bêtes brouter sur les plateaux et les hauteurs, les bergers ont tracé des drailles ou chemins pierreux où nos pas de randonneurs ont pris la suite du passage des brebis.

larzac 8Au pied des montagnes, près des avens ou autour d’une poignée de jolis villages, s’agite une nouvelle effervescence. Les pays évoluent et les temps changent. Une autre population a rejoint ces campagnes pour redonner le plus souvent un sens à sa vie et y retrouver, pourquoi pas, le bonheur. L’attraction qu’exercent ces lieux semble limpide mais mystérieuse. Nous avons croisé de beaux profils, surpris leurs témoignages sans toutefois bien les comprendre et surtout pas les juger. Le jeune ermite de La Grausille, à l’allure de Maître de conférences, qui tenait à nous éviter le bartass sur un mauvais chemin (la lutte contre les ronces). André, le gauchiste soixante-huitard, merveilleux et généreux interprète de Brassens, venu ici pour gommer les incohérences de sa vie antérieure, qui s’affiche détaché de tout mais ne rêve que de militantisme et du Grand Soir. Marie-Odile, l’ex bougnate aveyronnaise du quartier Saint-Sulpice, qui refuse de se faire "gazer" dans les schistes de Nant et dont le sourire ravageur reste l’arme fatale pour désarmer le plus convainquant de ses contradicteurs. Tous sont attachants et démontrent  que l’ancien pays des camisards résiste toujours.

larzac 9Les véritables maîtresses des lieux, les brebis, jouent les grandes absentes. Leur discrétion dans le paysage renforce encore plus l’intérêt qu’on leur porte. En fait, elles sont les grandes perdantes. Tous les publicitaires et fromagers leur avaient pourtant promis que, surtout pour elles, le bonheur était dans le pré. Mais le pré elles ne le voient guère, aujourd’hui l’élevage en étable s’est substitué à l’élevage agropastoral fondé auparavant sur la transhumance. Pour le rétablir il faut du temps et des clôtures, et tout cela coûte cher. Heureusement, à l’aube naissante, quelques bergers antiques et bourrus sortent un troupeau, paradoxalement égaré dans ce contexte local, sur une pelouse ou un espace ras. Qu’importe que ce soient plutôt des bêtes à viande. L’instant est magique, le bonheur enfin retrouvé !

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*extrait du discours de N. Sarkozy aux députés de la région des Cévennes le 04/10/2011 à Alès

 

 L’itinéraire du séjour

25 juin : Paris-Nimes(tgv), St-Jean-du-Gard(bus)

26 juin : St-Jean-du-Gard, Ste-Croix-de-Caderle, Lasalle, Colognac

27 juin :  Colognac, Col de l’Asclié, Bonperrier, Valleraugue

28 juin : Valleraugue, Les 4 000 marches, l’Observatoire du Mont Aigoual

29 juin : Mont Aigoual, Prat Peyrot, Abîme de Bramabiau, Lanuejols

30 juin : Lanuejols,Treves, Le Causse Begon, Nant

1° juillet : Nant, La Cavalerie, Le Puech de Mus, Ste-Eulalie-de-Cernon

2 juillet : Ste-Eulalie-de-Cernon, L’Hospitalet, La Blaquererie, La Couvertoirade

3 juillet : La Couvertoirade, Le Caylar, Montpellier(bus), Paris(tgv)

 

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