La tête en l'air

Publié le par club rando

N’attendez pas de lui qu’il s’offusque des sottises inédites ou qu’il manifeste une supériorité hautaine sur les lacunes de ses semblables. Et pourtant, dans tout ce qui touche la culture générale, Christian est un puits de savoir. Il le distille sans accessoire superflu, ce qui rend ses propos d’autant plus intéressants.

La tête en l'air

C’est sous les platanes de l’avenue Victor Hugo qu’il vient de donner rendez-vous à son auditoire. Ce matin il s’est mis au défi d’associer son goût de la flânerie parisienne à l’intérêt qu’il porte à l’architecture. Pour qui manifeste de la curiosité dans ce domaine, le seizième arrondissement remplit toutes les cases car l’Haussmannien, l’Art nouveau, l’Art déco et leurs nombreux avatars s’y affichent généreusement.

La tête en l'air

Il aurait été stupide de se contenter d’un simple enseignement académique. L’architecture se juge sur le terrain par des yeux qui voient, des visages qui se tournent et des jambes qui marchent. C’est la tête en l’air qu’on découvre le mieux cet emblématique patrimoine parisien que le citadin ordinaire méconnaît ou confond.

La tête en l'air
La tête en l'air

Au regard malicieux de Christian, on devine déjà qu’il va s’amuser à déshabiller les façades aussi facilement que s’il entreprenait de dévisser un stylo. Etant tous arrivés, il ne reste plus aux 18 participants qu’à saluer les prémices de la balade qui les attend entre le rond-point de l’Etoile et la Porte d’Auteuil.

L'urbanisation du seizième, l’une des plus tardives de la capitale, s’est faite entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Auparavant, il n‘y avait que des terres maraîchères, des couvents, de grands domaines privés et deux petits villages faiblement peuplés : Auteuil et Passy. Les investisseurs vont vite s‘emparer d’un tel trésor pour en faire un territoire « bien habité ». Ce quartier neuf destiné aux familles fortunées va se doter d’un habitat de qualité par l’esthétisme des immeubles et les surfaces plus généreuses des appartements. Mais si à Paris on n’avait toujours pas de pétrole, on avait déjà des idées. Ce territoire devint le laboratoire idéal des architectes qui souhaitaient réinterpréter l’urbanisme.

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D’aucuns diront que ce quartier traîne une mauvaise réputation ! Entendons-nous bien, celle d’un endroit où il ne se passerait pas grand-chose. C’est peut-être parce qu’il est fait avant tout pour flâner. Il porte en lui le talent d’un nombre incalculable d’immeubles à la préciosité rare et offre l’indéniable avantage de trottoirs larges et souvent arborés qui donnent la sensation de se promener dans un décor de théâtre. Deux pas suffisent à Christian pour en ouvrir le rideau. Les immeubles haussmanniens qui ceinturent la place de l’Etoile reflètent bien la personnalité du célèbre baron : austère et ordonnée. L’adjectif canonique qualifie ces façades. Elles présentent cinq étages sur rez-de-chaussée, des portes cochères ou entresolées, des balcons filants au deuxième et cinquième et des combles mansardés pour abriter les chambres de domestiques. Raides, uniformes, symétriques, quelques-unes s’évadent légèrement de la règle en affichant de subtiles variations qui les rendent moins conventionnelles. Dans l’îlot haussmannien, l’équilibre entre les « pleins » et les « vides » est savamment pensé. Les vides centraux constitués de cours et courettes n’existent que comme puits de lumière. Si le style haussmannien s’avère le plus représentatif de Paris, il sera néanmoins le moins présent dans le trajet proposé.

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En 1880, le caractère uniforme des rues de la capitale commence à devenir lassant. Une nouvelle législation offrit davantage de liberté aux architectes, leur permettant d’exprimer plus de génie, de fantaisie, voire même d’exubérance. Ils sentent qu’ils vont enfin s’épanouir. On peut bâtir plus haut, imaginer des saillies plus importantes, donner libre cours à l’envie de fantaisie et de couleur. Cet « Art nouveau » va se répandre un peu partout dans le seizième. L’usage de nouveaux matériaux est exploré tels que le fer et les carreaux de faïence. L’apparition de l’ascenseur change la donne. Finie la corvée des escaliers, les plus hauts étages avec leur lumière abondante deviennent attractifs. Un florilège de représentations végétales et animales, des arabesques et autres mascarons ornementent jusqu'à l'excès les immeubles. Les angles s'arrondissent, les nouvelles demeures se couronnent parfois de dômes.

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Les plus beaux spécimens d’Art nouveau fleurissent le long des avenues Victor Hugo et Raymond Poincaré. Devant la variété de ces oriels tantôt joufflus tantôt sévères, de ces sculptures additives et hypertrophiées, que dire sinon s’enthousiasmer ou s’étonner de tant d’abondance. L’orateur n’oublie pas de préciser que ce style qui paraît loufoque masque cependant une technique savante. Le quartier a son champion, c’est l’architecte Hector Guimard. Le parcours le célèbre à Auteuil devant ses œuvres les plus connues. Elles valent largement le détour par leur côté spectaculaire.

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Après la Première Guerre mondiale, la construction reprend progressivement pendant les années 1920. La  pensée architecturale ressent le besoin du retour à la pureté et devient obsédée par ce qu’elle nomme « le plan libre ». Critiqué pour sa profusion, l'Art nouveau va être peu à peu remplacé par un style plus rigoureux :  l'Art déco. Il incarne le retour à des modèles où les façades rectilignes et les décorations épurées supplantent les formes alambiquées. Principales caractéristiques de ce mouvement :  l’apport novateur du béton armé, les courbes qui disparaissent au profit d’angles droits, l’ajout des bow-windows pour casser les lignes, l’élégance des motifs modernistes en fer forgé qui subliment les balcons et les portes vitrées, le raffinement de fresques allégoriques posées en bas-relief.

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Règle du jeu imposée par l’animateur intraitable : arriver à retrouver dans l’ordre aléatoire des constructions les modèles Art déco les plus expressifs. Vitaminée par l’acquisition récente de ce nouveau savoir, l’assistance se sent suffisamment bien armée pour résoudre l’exercice. Dans les rues qui jouxtent l’avenue Paul Doumer, un coup d’œil d'ensemble en dit plus qu’un long face à face. Méfions nous de la première impression, c'est toujours la bonne !

La tête en l'air

Comment pouvoir retenir la richesse de cette visite où la variété infinie des immeubles qui se saluent d’un trottoir à l’autre, la guirlande des bow-windows, des loggias et des dômes, la polychromie des briques vernissées, la chaleur de la pierre et la rigueur du béton ont donné l’impression d’avoir parcouru un musée à ciel ouvert ? Seules resteront les plus belles images de ce voyage immobile qu’il faut cependant savoir arrêter à l’heure du thé.

A seize heures ou quelques minutes de plus, la porte d’Auteuil est atteinte.  Avant de descendre dans la bouche de métro Michel-Ange, se remarque la vitrine d’un fleuriste décorée par un assemblage hétéroclite d’arbres en fleurs artificielles qui aurait dû sembler très kitsch et dérisoire. Mais non, ces branches ébouriffées à la blancheur factice n’amènent que sourires d’approbation dans une logique secrète qui ne s’explique pas. Juste en face, sur la place Jean Lorrain, deux enfants jouent à cache-cache derrière les arbres. On les regarde d’un air amusé, il redevenu licite de baisser le regard.

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Le Parcours

Vendredi 10 novembre Paris 75016

carrefour de l’Etoile, avenue Victor Hugo, rue Saint Didier, av Raymond-Poincaré, rue de Longchamp, place de Mexico, av d’Eylau, place du Trocadéro, rue Scheffer, av Paul Doumer, rue Benjamin Franklin, parc de Passy, rue Berton, rue Raynouard, rue La Fontaine, av Mozart, place Jean Lorrain.

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